L’épave de la Mortella 3 se situe dans la baie de Saint-Florent, à proximité des ruines de la tour génoise de la Mortella qui lui a donné son nom. Localisée en 2006, elle gît à 38 m de fond et se présente sous la forme de deux tumuli de lest sur fond de sable. La fouille et les recherches documentaires réalisées dans les archives rattachent cette épave à une nave d’origine génoise construite vers 1520. L’épave contemporaine Mortella 2 a été découverte à proximité.
L’épave se trouve dans une zone protégée de la baie et historiquement destinée au mouillage de navires de fort tonnage. Les gisements de la Mortella 2 et 3 ont été découverts respectivement en 2005 et 2006 à l’occasion de missions de prospections géophysiques. Après une première expertise du site en 2007 par le DRASSM, l'épave Mortella 3 a donné lieu à sept campagnes de fouilles qui se sont déroulées entre 2007 et 2019 par l’association CEAN-SEAS.
En 2005, le CEAN-SEAS (Centre d’Études en Archéologie Nautique-Société d’études en archéologie subaquatique) sous la direction d'Arnaud Cazenave de la Roche, a entrepris de recenser les épaves et les vestiges archéologiques sous-marins de la région du Nebbio.
Le premier site, Mortella 2, a été localisé en 2005 à 48 mètres de profondeur et à environ 700 m au sud de Mortella 3. Le second gisement se présente sous la forme de deux tumuli séparés d'une trentaine de mètres dans la partie sud-ouest du site, qui convergent jusqu'à se rejoindre dans sa partie nord-est. En raison de leur profondeur moins importante, ce sont les deux tumuli proches de la Mortella 3 qui ont dans un premier temps concentré les recherches. L’épave Mortella 2 a bénéficié de nouvelles fouilles en 2021.
Le projet d’étude des sites de la Mortella a été réalisé grâce au soutien européen du programme Leader +, de la Marie Sklodowska Curie Actions, Horizon 2020, de la collectivité territoriale de Corse (CTC) et du conseil général de Haute-Corse. Il a également reçu le soutien de la commune de Saint-Florent, celui de la commune d’Oletta et du Groupe d’actions locales (GAL), ainsi que la collaboration de l’association Les Amis des Agriate, basée à Casta.
Peu d’éléments de la cargaison ont été conservés : le navire a brûlé et semble avoir été pillé. Il est également probable qu’il ait été vidé avant d’être volontairement coulé. Ainsi, l’essentiel du mobilier consiste en des pièces d’artillerie en fer forgé peut-être trop lourdes pour avoir été débarquées.
Des canons et des culasses ont été découverts associés à des dizaines de boulets de pierre. Ces boulets sont pour la plupart taillés dans de la serpentine, une roche particulièrement présente dans le Piémont italien. Un de ces boulets présente une inscription correspondant peut-être à une marque d’artisan.
Du mobilier céramique a également été retrouvé vers l’arrière de l’épave. Il s’agit essentiellement de fragments de vaisselle produite dans le nord de l’Italie au début du XVIe s.
La proximité géographique entre les épaves Mortella 2 et Mortella 3 ainsi que le mobilier mis au jour suggèrent que leur naufrage est lié au même évènement historique. L’étude pétrographique du gravier et des pierres de lest présents sur les deux sites, réalisée par François Gendron (MNHN), a permis de confirmer l’origine commune de ces deux épaves. Elles ont en effet été lestées avec les mêmes roches.
Le mobilier céramique, bien qu’à l’état très fragmentaire, permet de reconnaître des coupes, des cruches, des marmites et des jarres. Il s’agit essentiellement de productions nord tyrrhéniennes. C'est le cas notamment de fragments de majoliques provenant de Montelupo Fiorentini ou de fragments à décors incisés originaires d'un centre de production pisan. L'ensemble de cette céramique a été produite dans les premières décennies du XVIe s.
Les hypothèses de restitution de l’épave de la Mortella 3 sont celles d’une nave de 550 à 570 tonnes de port. Elle se situe dans la moyenne basse du tonnage de cette typologie de bâtiments, la taille moyenne étant de 700 tonnes au début du XVIe s. Le navire disposait de deux ponts et de trois mâts et ses dimensions ont été estimées, à partir des vestiges et des traités de l’époque, à 37 m de long par 10,50 m de large.
L’étude du maître-couple offre une physionomie particulièrement ronde à la reconstitution de la nave qui possède par ailleurs un profil élancé et un fort tirant d’eau restitué.
L’étude architecturale de l’épave révèle l’utilisation de techniques de construction qui se rattachent à la tradition méditerranéenne. C’est le cas notamment de la nature de la fixation du bordé à la membrure au moyen de deux clous en fer placés proche des cans, de l’absence de gournables ou encore du système d’emplanture du grand mât. Ce dernier est caractérisé par l’encadrement de la carlingue au moyen de l’ajout de deux pièces de bois de chêne, les carlingots (ou escasses dans le langage méditerranéen), qui sont endentés pour s’encastrer dans les varangues. Deux clés les relient pour former la mortaise dans laquelle vient s'insérer le mât. Pour renforcer la structure, des taquets latéraux viennent s’encastrer dans le carlingot.
La quille du navire est constituée de deux éléments assemblés au moyen d’un écart simple. Elle est doublée d’une fausse quille qui la renforce. L’étude du clouage des éléments du maître-couple montre qu’il a été monté sur le chantier avant d’être posé, complet, sur la quille du navire.
À l’avant, l’étrave n’a pas été retrouvée, mais on a pu mettre à jour des virures qui présentent un biseautage sur le can et qui s’inséraient originellement dans l’étrave.
Parmi les caractéristiques architecturales les plus marquantes de ce site, on peut citer d’une part la pompe de cale, et d’autre part le gouvernail, qui sont des pièces exceptionnellement conservées sur des navires de cette époque. Le dispositif de pompage de la Mortella 3 correspond vraisemblablement à un système de « pompe soulevante » qui élève l’eau par l’action d’un piston. Pour enlever l’eau des fonds de cale, on installe dans un caisson une pompe. Sur la Mortella 3 la zone de l’archipompe est composée de quatre planches liées par des poteaux carrés formant une cloison. La valve inférieure de la pompe prend appui sur les varangues. Au sommet de la pièce est censé se trouver un clapet de cuir aujourd'hui disparu. Deux éléments de bois ligaturés constituent le corps de la pompe, de forme cylindrique et creusé à l’intérieur de manière à y faire passer un piston.
Des ancres à jas et dotées d’organeaux ont également été retrouvées ainsi qu’une grande quantité de cordages. D’autres éléments se rapportent au gréement, comme des réas de poulie en métal et en bois.
Les informations historiques recueillies au cours des recherches documentaires sur les épaves Mortella 2 et 3 indiquent qu’il pourrait s’agir des deux navi envoyées en Sicile dans le but d’y charger du blé pour tenter de ravitailler la cité génoise affamée par le blocus.
La ville de Gênes se trouvait en effet bloquée par la flotte de la Ligue de Cognac, unissant les flottes françaises à celle du Pape, d’Andrea Doria et de Venise en 1527. Les deux naves auraient été rattrapées en Corse par une flotte française de galères au mois d’août 1527. Les deux navi piégées dans la baie de Saint-Florent, faute de vent, auraient été précipitamment déchargées et volontairement incendiées pour éviter qu’elles ne tombent aux mains de l’ennemi.
Ce naufrage met en lumière une situation politique complexe qui révèle la division des cités italiennes que cette rivalité franco-espagnole attisait : d’une part on voit Venise unie au Vatican dans le camp français s’élever contre Gênes. D’autre part, on voit comment l’alliance de Gênes avec l’Espagne et du général génois Andrea Doria avec la France a pour conséquence la guerre sans merci que celui-ci livra à sa propre ville d’origine. L’étude des textes montre que les naufrages des navi de la Mortella sont la conséquence directe de cette épineuse situation politique.
Musée de Bastia (dépôt) - Citadelle de Bastia, Place du Donjon - 20200 Bastia
Tél. : 04 95 31 09 12
Pour le dépôt de conservation du mobilier, s’adresser au DRASSM.
Il n’existe que trois gouvernails au monde conservés sur des navires du XVIe siècle. Celui de Mortella 3 est donc d’une importance capitale pour la compréhension des systèmes de direction des navires de cette époque.
Pays | France |
Aire marine protégée | Parc Naturel Marin du Cap Corse et de l'Agriate |
Département | Haute-Corse |
Commune | Saint-Florent |
Lieu-dit | Au large de la tour de la Mortella |
Code EA | 30-623 |
Nature du site | Épave de navire |
Chronologie | Période moderne |
Indicateur de période | Archives, mobilier |
Structures | Coque |
Mobilier |
Amphores : /
Céramiques : Céramiques a graffito monochromes, céramiques pisano-ligures, briques Autre : Métal : chaudrons, ancres à jas. Armement : canons à douves en fer forgé cerclés et culasse amovible, boulets de pierre, une arquebuse et des pierriers. Autres : cordages, verre. |
Lieu d'exposition | Musée de Bastia, Haute-Corse |
Contexte |
Géologie : vase très compacte
Situation : immergé Profondeur : - 38 m |
Historique des recherches |
Déclaration : 2006 - Arnaud Cazenave de la Roche (prospections)
Expertise: 2007 - Hélène Bernard (DRASSM) Opérations: 2007, 2010, 2012-2015, 2019 - Arnaud Cazenave de la Roche (fouilles programmées) |
Commentaires | |
Rédacteur | Eyssa Jerray, en collaboration avec Arnaud Cazenave de la Roche |