L’épave Grande Passe 1 repose par 45 mètres de fond dans le Parc national de Port-Cros. Ce navire, de 18 à 20 m de long, transportait des amphores vinaires gréco-italiques depuis l’Italie vers la Gaule lorsqu’il a coulé vers le milieu du second siècle avant J.-C.
Le site est découvert et déclaré au Drassm en 1975 par deux plongeurs, G. Di Marco et R. Rousselin. Ils rapportent avoir observé un grand nombre de céramiques fragmentées, probablement des amphores et de la vaisselle fine, s’étendant sur une zone d’environ 100 m2 et constatent la présence de bois qui laisse à penser que la coque se trouve encore sous le chargement.
L’épave tombe dans l’oubli jusqu’à sa redécouverte fortuite en 2016 lors d’une prospection par le club de plongée de Iéro. Il est alors évident que le site a subi un pillage bien organisé. En effet, des outils et un corps-mort abandonnés sur place sont découverts et la grande majorité de la céramique observée en 1975 a disparu.
En 2017 une première campagne de documentation de l’ensemble du site est portée par l’association Arkaeos. Suivront trois campagnes de fouilles archéologiques avec comme objectif principal la mise au jour des vestiges de la coque.
Entre 2017 et 2021 quatre campagnes sont conduites, sous la direction de Alex Sabastia (AMU/INRAP/CCJ), par l’association Arkaeos et le club de plongée Iero dans le cadre du programme de recherche Stoechades, Navigation autour des îles d’Hyères et en partenariat scientifique avec le Centre Camille Jullian (CNRS/AMU) et l’Inrap .
Ces campagnes sont dédiées à l’étude et à la documentation des vestiges de la cargaison, de la cuisine de bord et, surtout, de la coque du navire. Les éléments découverts ont permis de définir les limites du gisement, de proposer une première interprétation de l’épave et de préciser la date du naufrage grâce à l’étude du mobilier récupéré.
Avant les pillages, trois amphores gréco-italiques entières ou brisées servant au transport du vin ont été retrouvées. La cargaison semble avoir été constituée, au moins en partie, de ce type d’amphore que leur forme permet d’attribuer au milieu du IIe s. av. J.C., date confirmée par les quelques pièces de vaisselle de table et de cuisine découvertes lors de la fouille.
Les différentes campagnes ont permis de mettre en évidence l’emplacement de la cuisine à l’avant du navire. Elle regroupe les éléments nécessaires à la préparation et la consommation de nourriture à bord : un foyer sur tuiles plates est associé à une petite meule rotative en basalte. La dizaine de vases récupérés provient de diverses zones de la Méditerranée : principalement Italie mais aussi monde punique et sud de la Gaule.
Les amphores, une entière et deux cols, de type gréco-italique de transition, ont été découvertes lors des premières campagnes de terrain. Il est impossible de donner une estimation du volume que pouvait représenter la cargaison au vu du petit nombre de vestiges conservés.
Cependant ce type d’amphore renvoie à une route maritime bien documentée entre la péninsule italique et la Gaule par l’est de la Corse. En effet, de nombreuses épaves de navires de moyenne dimension, comme pouvait l’être celui de Grande Passe 1, et présentant le même type de chargement ont été étudiées le long de cette route.
Les éléments liés à la cambuse sont représentés par une assiette à vernis noir en céramique Campanienne A (Lamboglia 36/Morel 1310), deux mortiers et deux couvercles de marmites italiques ; une jatte en céramique non tournée attribuée à la Gaule du Sud et une anse de cruche en céramique commune massaliète ; enfin deux cruches puniques en céramique commune ainsi qu’une lèvre d’amphore Africaine ancienne (de type Lattara A-AFR trA-bd1). Ce conteneur, le seul de ce type retrouvé dans l’épave, serait à mettre en relation plutôt avec la cuisine qu’avec la cargaison.
Cet assemblage de mobilier est commun au cours des IIe et Ier s., mais la morphologie des amphores gréco-italiques et la présence de l’amphore Africaine ancienne, qui ne semble pas circuler avant le deuxième quart du IIe s., incitent à situer le naufrage vers 150 av. J.-C.
Trois pièces de monnaies frappées à Rome entre 211 et 200 av. J.C, un semis et deux as républicains trouvés dans la zone de la cuisine lors de la fouille de 2020, montrent sur l’une de leurs faces une proue de navire. Une tête auréolée de Janus est présente sur la seconde face des deux as. Il n’est pas étonnant de trouver des monnaies plus anciennes que les éléments de cargaison étant donné que celles-ci peuvent rester relativement longtemps en circulation.
Une partie du fond de la coque a été mise au jour au fur et à mesure des différentes campagnes de fouille. Bien que le bois présente un état de conservation moyen, des éléments intéressants ont permis de donner une estimation des dimensions du navire.
Une grande partie de la charpente axiale, dont les deux brions prolongeant les vestiges de la quille, est conservée sur une longueur de 12,50 m. La comparaison avec d’autres épaves présentant des caractéristiques très similaires (Chrétienne C et Baie de Briande) a permis d’estimer la longueur du navire à environ 18-20 m.
L’architecture du fond de carène en retour de galbord est représentative de la période républicaine, ce qui est cohérent avec la datation des vestiges, tout comme l’assemblage à franc-bord par tenons et mortaises des planches de bordé.
En outre, un assemblage d’au moins six ancres, trois en fer et trois en bois à jas de plomb a été documenté lors des différentes campagnes. Toutes ont été découvertes près de l’extrémité ouest du site et l’une d’entre elle, la mieux conservée, semble être entreposée à son emplacement originel, diamant pointé vers l’ouest et verge parallèle à la quille, ce qui confirme l’hypothèse que cette portion de l’épave où se situe aussi la cambuse était l’avant du navire.
Au niveau des vestiges du foyer et de la cuisine, toujours à l’extrémité ouest du site, le plomb de sonde du navire ainsi qu’un patch en plomb de forme quadrangulaire servant aux réparations navales ont également été découverts.
La quille en sapin est assemblée aux galbords par des râblures situées de chaque côté de sa face supérieure.
Les membrures conservées sont assemblées au bordé par des gournables qui sont parfois cloutés. Les clous présents dans les gournables sont en alliage cuivreux. Leur pointe est rabattue au niveau du dos des membrures et en direction de la quille.
Les membrures ont été façonnées à partir d’au moins trois essences de bois différentes : le chêne caducifolié, le sapin et le pin. Le sapin est une essence de bois très peu utilisée pour la quille d’un navire, contrairement au chêne caducifolié qui a servi à la fabrication du brion d’étrave.
Au total 17 planches de bordés ont été découvertes, dont certaines présentent des patchs en plomb comme celui retrouvé au niveau de la cambuse. Ces patchs, cloués sur le bordé, sont les vestiges des réparations de la coque du navire.
Seuls les jas des ancres en plomb ont été retrouvés, le bois de ces ancres n’est pas conservé. Le jas le plus imposant mesure 134 cm de long et son poids est estimé à 150 kg. Ce jas de plomb a été coulé directement autour de la verge de l’ancre.
Les ancres en fer sont quant à elles à jas mobiles. La plus imposante et mieux conservée mesure 231 cm du diamant à son extrémité et ses bras formant un V font chacun 68 cm de long.
Le lot d’ancres trouvé sur le site permet de mettre en lumière les différentes utilisations de ces apparaux : si les plus lourdes sont destinées à mouiller le navire, les plus légères servent notamment d’ancres de jet pour les manœuvres. Parmi les trois jas de plomb retrouvés sur Grande Passe 1, deux d’entre eux pourraient être associés à des ancres de jet au vu de leur poids (20 kg environ). Par ailleurs, la présence de plusieurs ancres peut s’avérer très utile pour ralentir le bâtiment en cas de tempête ou pour assurer le mouillage.
Pays | France |
Aire marine protégée | Non |
Département | Var |
Commune | Hyères |
Lieu-dit | Baie de Hyères entre les îles de Porquerolles et Port-Cros |
Code EA | 30-799 |
Nature du site | Épave de navire |
Chronologie | Antiquité |
Indicateur de période | céramique, amphores, ancre, coque, monnaies |
Structures | Coque |
Mobilier |
Amphores : gréco-italiques de transition
Céramiques : mortiers, vases Autre : ancres, monnaies, meule en basalte, plomb de sonde, patch en plomb |
Lieu d'exposition | |
Contexte |
Géologie : sable, couche d'algue libre
Situation : immergé Profondeur : plus de 40 m |
Historique des recherches |
Déclaration : 1975 - G. Di Marco & R. Rousselin
Expertise: 2017 - Alex Sabastia : campagne de documentation-couverture photogrammétrique Opérations: 2016 - Bernard Pasqualini (club de plongée Iéro) ⇒ prospection archéologique ; 2018-2021 (trois campagnes de fouille) - Alex Sabastia (AMU/ INRAP/CCJ) |
Commentaires | Avec le soutien du Club de plongée Iero ; Centre Camille Jullian (Aix Marseille Université, CNRS); DRASSM (Ministère de la Culture); Institute of Nautical Archaeology ; Parc national de Port-Cros |
Rédacteur | Alex Sabastia, Claire Destanque, Marie-Brigitte Carre |