L’épave de Bataiguier repose à une cinquantaine de mètres de fond dans la baie de Cannes, à près d’un kilomètre de la balise du Bataiguier qui lui a donné son nom. L’épave découverte en 1973 est celle d’un navire de commerce d’origine sarrasine qui transportait une cargaison importante de céramique andalouse et qui a sombré au Xe siècle.
L’épave a été découverte en septembre 1973 par J.-P. Joncheray à l’ouest de l’île Sainte-Marguerite. Ses vestiges étaient éparpillés sur une centaine de mètres et sur un fond de sable vaseux. En 1973 et en 1974, l’épave a fait l’objet de deux campagnes de fouille conduites par la Société d’Archéologie Subaquatique de Fréjus. Les plongées se sont alors concentrées sur l’abondant mobilier. Une expertise de l’épave a été reconduite en 1993 associant le Drassm, la Société d’Archéologie Subaquatique, la Comex et la FFESSM. Cette mission a permis de trouver de nouvelles pièces archéologiques bien conservées, de confirmer la datation du Xe s. pour la cargaison et de relever une partie de la coque.
L’épave a été déclarée par J.-P. Joncheray, P. Carra, G. Rouanet et J.-P. Vieu. Ce sont plusieurs grandes jarres éparpillées qui ont permis de détecter sa présence. Le site est un mouillage sûr et fréquemment utilisable. L’éparpillement du mobilier de cette épave semble être dû à la fréquentation intense de la zone par les grands navires qui mouillent leurs ancres précisément à cet endroit et qui ont perturbé le gisement.
Les deux campagnes de 1973 et 1974, dirigées par J.-P. Joncheray, ont permis de localiser précisément l’épave, de constater la présence de la coque et de remonter environ 360 éléments de mobilier. Cette épave a présenté rapidement l’intérêt historique d’appartenir à une époque (le Xe s.) et à un horizon culturel (le monde sarrasin) peu représentés sur le littoral provençal. La profondeur importante du gisement a cependant motivé un ajournement de son étude.
En 1993, une nouvelle expertise du site a eu lieu sous la direction de son inventeur en collaboration avec M.-P. Jézégou (Drassm). L’opération s’est déroulée avec les moyens technologiques de la Comex qui a mobilisé le navire Minibex, un blaster et le ROV de type Achille. En dépit de la profondeur, les plongées en scaphandre autonome ont permis le relevé d’une partie des structures de la coque. Malgré un pillage avéré, le gisement a encore livré du mobilier en excellent état de conservation et une coque bien préservée.
Un projet de mise en valeur de cette épave a été envisagé pour le musée de l’île Sainte-Marguerite. Il permettrait de poursuivre cette fouille à l’intérêt historique de premier plan mais au poids financier conséquent.
L’importante cargaison découverte désigne cette épave comme celle d’un navire de commerce sarrasin (arabo-musulman) du Xe s. Son chargement principal semble avoir été composé de grandes jarres servant à contenir des denrées ou de l’eau.
Une cargaison complémentaire s’est révélée importante par le nombre et la variété de pièces qui la composaient. Il s'agit essentiellement de céramiques (cruches, pichets, gargoulettes, amphores, lampes, marmites, etc.). Une série de chaudrons en cuivre, dont on a retrouvé surtout les anses, faisait également partie de ce fret.
Quelques objets particuliers se distinguent de cet ensemble comme un récipient en forme de chameau ou de girafe.
Une vingtaine de meules a également été découverte sur le site mais il semblerait qu’elles aient servi à lester le navire.
Les campagnes de 1973 et 1974 ont permis de cataloguer environ 360 objets et de les classer en une soixante de formes différentes. La céramique constitue environ 75 % de ce mobilier. Le reste des objets découverts est en pierre, en cuivre, en fer, en verre, ou en os. La vaisselle en céramique est à rapprocher des productions sarrasines des Xe-XIe s., découvertes à Majorque et dans le sud-est de l’Espagne. Découvert en 1993, un fragment de coupe verte et brune en faïence a précisé cette datation et situe le naufrage au cours du Xe s. L’appartenance de cette épave à un horizon culturel sarrasin, déjà fortement suggérée par le répertoire céramique, est confirmée par la présence, sur ces objets, de multiples graffiti en langue arabe.
La cargaison principale était constituée de grandes jarres appelées alfabias. On en a dénombré une quarantaine. Elles mesuraient entre 50 et 130 cm de haut. Les plus grandes avaient une contenance d’environ 1000 litres. Plusieurs présentent un décor de cordons. Plus rares sont celles qui offrent des systèmes de préhension.
Ce chargement était complété par un nombre conséquent de lampes (une cinquantaine) et de vases en céramique : pots (cantaros), cruches (jarros), gargoulettes (jarritas), marmites, coupes, pichets, petites jarres et amphores. Il convient de noter pour les grandes séries comme celles des pots, des cruches ou des gargoulettes l’existence de variantes en fonction du nombre d’anses ou de la taille des objets. Malgré quelques décors incisés ou peints, ces productions renvoient à de la céramique commune fonctionnelle.
Certaines lampes semblent avoir fait partie du matériel de bord car elles apparaissent avoir été utilisées.
Parmi les objets céramiques, il faut signaler l’existence d’objets originaux : un tambour identique aux « derbuka » actuelles du Maghreb, une gourde aplatie, une lampe circulaire dotée de sept godets verticaux et un récipient zoomorphe et glaçuré qui demeure énigmatique, tant par sa représentation (girafe ? dromadaire ?) que par sa fonction (ustensile pour verser l’huile dans les lampes ? encrier ?).
Une vingtaine d’anses de chaudron et un manche d’outil, tous en cuivre, ont été récupérés. Les concrétions ferreuses s’avèrent nombreuses sur le site mais elles ont, pour la plupart été laissées sur place pour être observées en connexion avec l’architecture de l’épave. Néanmoins, un trépied, une hache et divers autres petits objets (anneaux, clous) ont été remontés. Trois bases de récipients en verre ont aussi été repérées et dessinées. Enfin, un cylindre décoré, en ivoire ou en os, reste d'interprétation délicate.
Des meules (une vingtaine) gisaient sur le site. C’était également le cas sur l’épave sarrasine de Nord-Fouras. Il est probable qu’elles aient servi de lest pour la stabilité du navire. Leur analyse géologique pourrait permettre de déterminer si le navire avait été chargé en Espagne musulmane ou dans le secteur, tout proche, du Fraxinetum (région de Saint-Tropez) alors contrôlé par les Sarrasins.
La longueur du navire semble pouvoir être estimée à environ 25 m. Il possédait un fond plat large de 3,20 m. Les murailles du navire s’évasaient ensuite et il est impossible pour l’instant de déterminer la largeur maximale du navire. La coque a été assemblée selon le principe de construction sur couples. Les membrures étaient plates et en forme de L comme sur la célèbre épave de Serçe Liman (XIe s., Turquie). Elles étaient fixées à la quille au moyen de broches. Les virures, mises à franc bord les unes par rapport aux autres, étaient clouées aux membrures. Le navire était doté d’un vaigrage.
Lors des premières campagnes en 1973 et 1974, la présence de la coque sous une faible épaisseur de sable vaseux avait été notée. Sur le fond marin, dans la partie ouest et centrale du site, plusieurs grosses concrétions ferreuses désignaient des ancres. De multiples concrétions métalliques plus petites pouvant correspondre à des clous ou à de l’accastillage avaient été détectées. Elles ont été laissées in situ par les fouilleurs pour être analysées en connexion avec l’étude de la coque.
Le navire a pu être dévasé en 1993 sur une longueur de 11,35 m et une largeur de 4,30 m. Il semble que cette partie corresponde à une moitié du navire même si aucune extrémité n’a été dégagée. L’une d’elles ne devrait pas se trouver loin de la limite de la fouille. La longueur du navire a donc pu être estimée à environ 25 m. La quille, orientée nord-sud, a été suivie sur 11,10 m. Large de 10 cm, elle apparaît particulièrement fine. Non loin de l’extrémité supposée, elle portait sur sa face supérieure une marque géométrique incisée.
Les bouchains bâbord et tribord ayant été localisés et des membrures plates ayant été repérées, il est possible d’affirmer que le fond du navire de Bataiguier était plat et large d'au moins 3,20 m. Au-delà du fond plat, le bordage s’élevait selon un angle de 135°. La largeur maximale du navire était donc supérieure à ces 3,20 m. A l’ouest, grâce à leur empreinte dans la vase, on sait qu’il y avait trois virures au-delà du bouchain.
Construit sur couples, ce navire présente une particularité : sa structure alterne la position des varangues, tantôt sur la moitié droite du fond, tantôt sur sa moitié gauche.
Outre le mobilier céramique comparable, la longueur de l’épave et l’existence d’une marque géométrique sur la quille conduisent à mettre en parallèle cette épave de Bataiguier avec celles découvertes au large d’Agay en 1962.
Aucune archive connue aujourd’hui ne relate le naufrage de ce navire de commerce. La très probable origine andalouse de sa cargaison et sa datation conduisent cependant à insérer cette épave dans un contexte historique précis. Le Xe s. est, en effet, une période au cours de laquelle, en Provence, de multiples tensions entre Musulmans et Chrétiens se sont traduites par plusieurs expéditions militaires terrestres et maritimes qui ont laissé des traces dans les archives historiques. Ce contexte et divers éléments ont conduit à envisager que la cause du naufrage de ce navire, dans un site pourtant si bien abrité, pourrait résulter d’un fait de guerre.
D’après les annales franques, dans les dernières années du IXe s., un navire musulman venant d’Espagne aurait essuyé une tempête sur les côtes du Var. Une vingtaine de Sarrasins ayant échappé à ce naufrage se serait installée sur le littoral du secteur alors appelé Fraxinetum (actuel massif des Maures, cantons de Grimaud et de Saint-Tropez). Renforcé en effectif et dirigé par un qa’id (chef militaire), ce contingent établit un fortin, d’où il lançait des razzias sur l’arrière-pays provençal et des expéditions de piraterie sur le littoral. La tradition historique a longtemps fait du château de la Garde-Freinet la base de ces pirates. L’archéologie a cependant montré récemment que cette fortification n’apparaît qu’au XIIIe s. Les spécialistes actuels penchent plutôt pour une installation de ces Sarrasins dans la presqu’île de Saint-Tropez. Le nom « Ramatuelle » pourrait être, par exemple, d’origine arabe et dériver de Rahmatû llâh (« le bienfait de Dieu »).
D’après les mêmes sources chrétiennes, non exemptes de partialité, jusqu’à ce qu’ils soient chassés de la région en 972 par les comtes provençaux et les Byzantins, les Sarrasins du Fraxinetum entretiennent une insécurité constante sur le commerce maritime dans cette mer de Provence. Ils servent alors probablement de relais aux grandes razzias maritimes lancées d’Andalousie (en 933, 935 et 943 notamment). Celles-ci et les interventions byzantines menées pour mettre fin à cette insécurité (en 931, 942, dans les années 950 et encore en 968) ont causé plusieurs pertes de navires sarrasins attestées par les archives. La présence de bois brûlé et de trois fragments de squelettes humains sur un navire mouillant dans un endroit particulièrement abrité incite les historiens et les archéologues à envisager l’hypothèse d’une agression, qu’ils dateraient volontiers de 942. A cette époque, en effet, les Provençaux du côté terrestre et les Byzantins du côté de la mer mettent en place un blocus autour du Fraxinetum. L’importance et le succès historique de ce blocus indiquent donc un contexte particulièrement propice pour le naufrage d’un navire sarrasin mais ils n’en constituent pas pour autant une preuve formelle.
Musée de la Mer - Fort Royal, Île Sainte-Marguerite - 06400 Cannes.
Tél. : 04 93 38 55 26 (Direction des musées de Cannes)
Fait rarissime, cette épave a livré trois fragments de squelettes humains, dont la moitié d’un crâne. Les analyses confirment la datation de l’épave au Xe s.
Cette épave de Bataiguier fait partie des quatre épaves sarrasines du Xe s. découvertes entre Marseille et Cannes. Son étude est indissociable de celle des gisements Agay A, Nord-Fouras (Saint-Tropez) et Plane 3 (Marseille) en raison de leur contemporanéité et des similitudes de mobilier et d’architecture navale.
Pays | France |
Aire marine protégée | Non |
Département | Alpes-Maritimes |
Commune | Cannes |
Lieu-dit | Au sud-est de la balise du Bataiguier |
Code EA | 30-462 |
Nature du site | Épave de navire |
Chronologie | Période médiévale |
Indicateur de période | Cargaison, céramiques andalouses, datation C14 sur ossements. |
Structures | Cargaison, coque, ancres. |
Mobilier |
Amphores :
Céramiques : Grandes jarres andalouses (alfabias) ; céramiques communes andalouses (jarros, jarritas, cantaros, marmitas, etc). Autre : Lampes ; meules ; autres (« chameau », tambour, anses de chaudron, urne lithique, manche d’outil, verre, ivoire). |
Lieu d'exposition | Musée de la Mer, île Sainte-Marguerite, Cannes. |
Contexte |
Géologie : Sable, vase
Situation : Immergé Profondeur : - 55m. |
Historique des recherches |
Déclaration : 1973 - P. Carra, Jean-Pierre Joncheray, G. Rouanet, J.-P. Vieu (découverte fortuite).
Expertise: Opérations: 1973 - Jean-Pierre Joncheray (fouilles programmées) ; 1974 - Jean-Pierre Joncheray, SAS (fouilles programmées) ; 1993 - Jean-Pierre Joncheray, DRASSM, COMEX, SAS (fouilles programmées). |
Commentaires | Culture sarrasine. |
Rédacteur | Xavier Corré |