L’épave Mortella 2 se situe dans la baie de Saint Florent, à proximité de la tour de la Mortella. Découverte en 2006, elle gît à 47 mètres de fond. Les fouilles et les recherches en archives datent son naufrage de la première moitié du XVIe siècle, tout comme celui de l’épave Mortella 3 découverte à proximité. Ces deux épaves sont importantes pour notre connaissance de la navigation, de la construction navale et la diffusion de la céramique italienne en Méditerranée pendant la Renaissance.
L’épave de la Mortella 2 est déclarée en 2006 par Arnaud Cazenave de la Roche à l’occasion de missions de prospection sonar et magnétométrique menées par le Centre d'Étude en Archéologie Nautique (CEAN). En 2007, une première documentation des deux sites est programmée par le Drassm. Mortella 2 a d’abord été laissée en réserve au profit de l’étude du site de la Mortella 3. Elle a bénéficié d'un sondage en octobre 2021.
En 2007, le Drassm organise une mission sur les deux sites de la Mortella 2 et de la Mortella 3, distants de 700 mètres environ, sous la direction d’Hélène Bernard. Le site de la Mortella 3 a été étudié prioritairement. En effet, le site de la Mortella 2, plus profond, impliquait davantage de complexité dans la mise en oeuvre d'un chantier.
L'épave a bénéficié en octobre 2021 d'un sondage du Centre d'Etudes en Archéologie Nautique (CEAN) sous la direction d’Arnaud Cazenave de la Roche. Cette mission a permis de géo-référencer précisément l’épave, d’établir une documentation graphique actualisée et d'entreprendre une étude architecturale préliminaire .
La fouille de la Mortella 2 programmée en 2021 s’intègre dans un programme de recherche européen (ModernShip project, the Structure of the Early Modern Mediterranean shipbuilding, MSCA, Horizon 2020, GA843337). La fouille a également reçu le soutien du Drassm, de la collectivité de Corse, de l’Union Européenne (Marie Sklodowska Curie Actions, Horizon 2020) et du CSIC.
De nombreuses céramiques ont été retrouvées dans la partie Est de l’épave, associées à la poupe du navire, dont certaines sont quasiment complètes. Il s’agit essentiellement de majoliques de Montelupo, qui présentent une grande diversité de décors puisqu’au moins neuf motifs différents ont été identifiés. Elles appartenaient sans doute à la dotation de bord, pour le service du capitaine. Malgré leur mauvaise conservation, due à l’incendie et à la proximité de concrétions ferreuses, la datation de l’épave permet de préciser les typologies et chronologies de diffusion de ce type de poterie à la fin du premier tiers du XVIe siècle.
Un petit fût et un os de bovin complètent la collection d’objets témoignant de la vie à bord.
Montelupo est un des principaux centres de la production céramique de la Renaissance. Des formes ouvertes (plats, assiettes, salières) se retrouvent à partir du XVIe siècle et complètent le service de table présent aux périodes précédentes. Le style des décors s'émancipe de l'influence ibérique, et l'on voit se développer un certain nombre de décors (décors figurés, palmette persane, feuilles de vigne, rubans entrecroisés, guirlandes). Le savoir-faire et l'élaboration des décors en font des pièces de luxe pour la noblesse de Florence et d'ailleurs. Le succès des productions de Montelupo s'explique par la puissance commerciale florentine et ses débouchés internationaux. La faïence de Montelupo sera ainsi diffusée en Provence, en Catalogne et bien au-delà de la Méditerranée vers les territoires de l'Atlantique Nord jusqu'au XVIIIe siècle.
La fumée et la chaleur de l’incendie déclenché au moment du sabordage du navire a noirci les surfaces blanches des faïences, fondu et vitrifié la glaçure et modifié certaines couleurs.
Le site se présente sous la forme ovale d’un tumulus de lest qui s’étend sur 28 x 15 mètres. Un sondage a été ouvert dans la zone où paraissait se trouver la maîtresse section de l’épave. Plusieurs éléments de la membrure, des virures de bordé et deux serres ont été mis au jour. Il semble que ces serres se trouvent au niveau du flanc de la coque, à la jonction entre la première et la seconde allonge et non au fond de la carène, car elles présentent des traces de calcination, juste en dessous de la ligne de flottaison du navire.
Deux ancres ont été retrouvées sur le site. La première est conservée sur près de 4 mètres, tandis que la seconde, incomplète, devait initialement mesurer 2,5 mètres de long.
Les pierres qui composent le lest sont de même nature que celles retrouvées sur la Mortella 3, et semblent provenir de la région de Gênes.
Les rapports de proportions existant entre le tonnage du navire et les ancres qui l’équipent permettent d’estimer que le navire Mortella 2 devait mesurer 23 mètres de longueur pour 7,60 mètres de large pour d’environ 210 tonnes de port en lourd. Le navire devait donc appartenir à la typologie des barche génoises.
Le navire, quoique plus petit que la Mortella 3, était équipé de la même manière. Six tubes et cinq culasses de canon en fer forgé et cerclés ont été retrouvés. Quatre pièces d’artillerie se trouvent dans la partie identifiée comme l’arrière de l’épave, et deux à l’avant.
Une des caractéristiques architecturales de cette épave concerne l’organisation de ses différentes membrures qui sont doublées, c'est-à-dire qu’il y a deux pièces de bois pour un espace vide dans le rythme qui compose la structure transversale du navire. Ce type de construction solide est peu commun dans la tradition de construction navale méditerranéenne de la Renaissance. Les autres navi de cette époque étudiées archéologiquement, telles que la Mortella 3 ou la Lomellina (Villefranche sur Mer, Alpes-Maritimes), ont une organisation de leur structure transversale différente, qui alterne une pièce de bois pour un espace vide d’une mesure équivalente.
Le sondage effectué en 2021 ne permet cependant pas d’envisager l’ensemble des séquences et des assemblages varangues-genoux-allonges, notamment sur la partie basse de la coque.
Les pièces du navire sont assemblées au moyen de clous en fer, et les virures de bordé sont disposées à franc-bord et clouées aux membrures. Les serres sont entaillées pour s’encastrer de manière adaptée sur les membres.
L’analyse xylologique des bois de l’épave montre que du chêne sessile et pédonculé ont été utilisés pour les pièces de charpente. Les analyses dendrochronologiques indiquent une construction possible du navire en 1521. Cette date est cohérente avec celle de la Mortella 3 (entre 1517 et 1520) et avec la date possible du naufrage en 1527.
Deux ancres en fer reposent au centre du tumulus de Mortella 2. La première est parfaitement conservée en dehors de son jas en bois, soit calciné au moment de l’abandon du navire, soit détruit par les tarets. La seconde ancre n’est que partiellement conservée et elle est brisée en trois fragments. Elles présentent un organeau, une tête de culasse renflée et arrondie, des tenons du jas d’ancre dans le même plan que les bras, et des oreilles triangulaires. L’ancre entièrement conservée a été associée à une maîtresse ancre. C’est la plus grande ancre du bord, qui n’est utilisée qu’en cas de danger. La seconde ancre a été identifiée comme une ancre à jet. Plus petite, elle était utilisée pour mettre en mouvement un navire dans une baie ou pour lui faire remonter le courant d’une rivière, après avoir été mise en place depuis une chaloupe. A Gênes, cette ancre était appelée ancora pro tonezar.
Les canons de la Mortella 2 sont composés de plusieurs lamelles trapézoidales de fer cerclées, sur un principe de construction similaire à celui des tonneaux. Il s’agit d’un type appelé bombarda en Italien. Ces canons sont composés d’un tube (tromba), une culasse (mascolo ou canono en latin), et d’un affût en bois (letto ou fusto). Le canon est constitué d’un tube cylindrique ouvert aux deux extrémités, et qui pouvait être chargé par l’arrière.
Les affûts étaient généralement monoxyles, c'est-à-dire qu’ils étaient constitués d’un demi tronc creusé, dans le lit duquel le canon venait se loger. Il était renforcé par des pièces métalliques. Une cale et un ressaut de la pièce de bois monoxyle sur la partie arrière du canon empêchaient les conséquences du recul de l’explosion. Une paire de petites roulettes en bois permettait à l’affût et au canon d’être déplacé d’un bord à l’autre. Deux pièces de chasse étaient positionnées à l’avant et les quatre autres canons sur les flancs arrière et vers la poupe. Tous les boulets retrouvés sur le site sont en pierre.
Des cordages en partie brûlés témoignent également de l’incendie qui a été déclenché à bord.
A la mi-août 1527, date du naufrage, Gênes est affamée par un blocus organisé par la Ligue de Cognac, qui unit les flottes françaises à celles du Pape Clément VII, de Florence, de Venise ainsi qu’à la flotte personnelle du célèbre Andrea Doria. Ces États se sont coalisés pendant la Septième guerre d’Italie (1526-1530) pour contrecarrer la puissance de l’Espagne et du Saint Empire Romain Germanique sur lesquels régnait l’Empereur Charles Quint.
Les informations historiques recueillies au cours des recherches documentaires indiquent que les épaves de la Mortella sont deux navi marchandes, la Boscaina et la Ferrara. Ces deux navires étaient attachés au port de Rapallo, petite ville côtière située à 25 kilomètres à l’Est de Gênes. Elles devaient apporter de Sicile une cargaison de blé malgré le blocus. Alors qu’elles faisaient halte dans le golfe de Saint-Florent, des galères françaises les prirent en chasse. Les deux navi encalminées se trouvèrent acculées. Elles auraient été précipitamment abandonnées et volontairement incendiées pour éviter qu’elles ne tombent aux mains de l’ennemi.
Les recherches en archives ont permis d’associer Mortella 2 à une petite nave italienne ou bien à une barca (qui est d’un tonnage un peu plus faible). Très utilisés par les Génois durant la Renaissance, ces navires marchands étaient construits par des chantiers privés.
Plusieurs sources d’époque décrivent les caractéristiques principales des navi. Elles sont construites à franc-bord, selon la tradition de construction en usage en Méditerranée, et portent généralement deux à trois mâts. Le mât d’artimon et le grand mât étaient équipés de voiles carrées, tandis que le mât de misaine portait une voile latine. Les navi avaient deux à trois ponts et étaient généralement équipées de plusieurs pièces d’artillerie, afin d’assurer leur défense.
Musée de Bastia (dépôt) - Citadelle de Bastia, Place du Donjon - 20200 Bastia
Tél. : 04 95 31 09 12
Pour le dépôt de conservation du mobilier, s’adresser au DRASSM.
Pays | France |
Aire marine protégée | Parc Naturel Marin du Cap Corse et de l'Agriate |
Département | Haute-Corse |
Commune | Saint-Florent |
Lieu-dit | Au large de la tour de la Mortella |
Code EA | 30-624 |
Nature du site | Épave de navire |
Chronologie | Période moderne |
Indicateur de période | Archives, mobilier |
Structures | Coque |
Mobilier |
Amphores : /
Céramiques : Majoliques de Montelupo Autre : Canons de fer forgé, ancres |
Lieu d'exposition | |
Contexte |
Géologie : sable
Situation : immergé Profondeur : - 48 m |
Historique des recherches |
Déclaration : 2006 - Arnaud Cazenave de la Roche (prospections)
Expertise: 2007 - Hélène Bernard (DRASSM) Opérations: 2021 - Arnaud Cazenave de la Roche (fouilles programmées) |
Commentaires | |
Rédacteur | Arnaud Cazenave de la Roche ; Hélène Botcazou |