L’épave Arles-Rhône 3 a été découverte en 2004, gisant par 4 à 9 m de fond dans le Rhône, à Arles. Coulé au milieu du Ier siècle de notre ère, ce bateau fluvial à fond plat était enseveli dans le dépotoir portuaire de la cité romaine. Après avoir été fouillée pendant plusieurs années, l’épave a été relevée des eaux du fleuve en 2011 pour être restaurée et présentée dans une extension du Musée départemental Arles antique. Classé « trésor national », ce chaland romain de 31 m de long est particulièrement bien préservé et a conservé sa cargaison de pierres, les outils et le mobilier de bord des bateliers, ainsi que ses appareils de navigation.
L’épave a été découverte à l’automne 2004 dans le cadre d’une mission de carte archéologique du Drassm. Après deux expertises, en 2005 et 2006, visant à préciser la nature de l’épave et sa datation, un sondage a été ouvert en 2007 sur la partie arrière du bateau. L'état de conservation du bateau et son intérêt scientifique ont donné lieu à une fouille programmée pluriannuelle qui s’est déroulée de 2008 à 2011. L’épave était recouverte par environ 40 cm de sédiments sur l’arrière (situé à une profondeur de -4 m) et pas loin de 2 m sur l’avant (profondeur de -9 m). Au cours de ces quatre années, l'épave, et le dépotoir qui la recouvre, ont été fouillés exhaustivement et le bateau ainsi mis au jour a été extrait des eaux du Rhône en 2011. Après deux années de traitement au laboratoire ARC-Nucléart, l'épave a été installée au Musée départemental Arles antique.
Lors de sa découverte en 2004, seule une partie d’un des flancs de l'épave Arles-Rhône 3 émergeait des sédiments du dépotoir portuaire. Un dégagement très superficiel a été réalisé tandis qu’un échantillon de bois a été prélevé afin d’en préciser sa chronologie au moyen d’une analyse radiocarbone. En 2005 et 2006, les deux expertises ont été conduites sous la direction de Luc Long (Drassm). En 2005, l’expertise architecturale assurée par Michel Rival (CCJ/CNRS) a permis d’identifier un chaland de type monoxyle-assemblé avec des caractéristiques architecturales originales et l’analyse radiocarbone a situé sa chronologie entre 15 av. et 130 apr. J.-C. En 2006, l’expertise architecturale, conduite par Sabrina Marlier (CCJ/Aix-Marseille Université), a permis de dégager l’épave jusqu’à son extrémité située en aval, sur une longueur d’environ 4,40 m, et de mettre au jour la zone de vie dans la partie arrière du bateau. A la suite d’un sondage effectué en 2007, Sabrina Marlier (CCJ/Aix-Marseille Université), Sandra Greck (Arkaeos), et David Djaoui (MdAa/CG13) ont mené, de 2008 à 2010, trois campagnes de fouilles programmées qui ont permis de dégager près de la moitié de l’épave, soit les douze premiers mètres de l’arrière et environ 1,50 m de la proue. Les études dendrochronologiques, conduites par Frédéric Guibal (IMBE/CNRS), ont finalement permis de situer la construction du bateau au début des années 50 apr. J.-C.
Reconnu « trésor national » par le Ministère chargé de la Culture, l'épave a fait l'objet d'un projet mené par le Conseil général des Bouches-du-Rhône et le Drassm visant à terminer intégralement la fouille et à relever l'épave en vue de sa restauration et sa présentation au public. L’opération de fouille-relevage conduite en 2011 dans le cadre de «Marseille-Provence, Capitale Européenne de la culture 2013», s'est inscrite dans un projet muséographique comprenant également l’extension du Musée départemental Arles antique destinée à recevoir le chaland. L’opération a été assurée par les sociétés O’Can et Ipso Facto, avec la collaboration du musée départemental Arles antique, du Drassm et des ateliers de restauration ARC-Nucléart et A-Corros. Durant sept mois, une équipe constituée d'archéologues, de scaphandriers, de techniciens, de conservateurs-restaurateurs et de photographes a œuvré sur le site. Outre la fouille et le tamisage de 900 m3 de sédiments du dépotoir portuaire dans lequel gisait l’épave, l'opération a nécessité de scier la coque en dix tronçons qui ont ensuite été soumis à deux ans de traitement au laboratoire ARC-Nucléart de Grenoble. Aujourd'hui remonté au sein du Musée départemental Arles antique, le chaland est présenté en situation de navigation, avec son mobilier de bord, une partie de sa cargaison de pierres (en fac-similé) et ses appareils de navigation (pelle de gouverne et mât de halage).
Lors de son dernier voyage, le chaland transportait une cargaison de blocs de pierres calcaires disposées sur trois à quatre couches dans le caisson central aménagé au centre de la coque. Le poids de ces pierres a été estimé entre 21 et 31 tonnes, soit l’équivalent d’environ soixante charrettes. Ces blocs provenaient des carrières de Saint-Gabriel (l’antique Ernaginum), situées à 15 km au nord d’Arles, proche de Tarascon. Bien que relativement ordinaires, ces pierres pourraient illustrer un commerce mal connu et pourtant important, destiné à alimenter les chantiers de construction d’Arles ou de Camargue. Le mobilier de bord de l’équipage a également été mis au jour. Organisés autour d’un fond de dolium réutilisé comme foyer, des bouilloires, un mortier, des bols et des assiettes ainsi que du charbon de bois, destiné à alimenter le foyer, attestent d’une activité de cuisine. Une lampe à huile vient compléter ce service. Au côté de ce mobilier céramique, on compte un certain nombre d’outils multifonctionnels qui témoignent d’une activité de travail de bord. Un réa de poulie gisait également à proximité. L’identification d’une zone de cuisine et de travail dans ce secteur de l’épave et l’absence d’emplanture de mât ont permis d’identifier l’arrière du bateau.
Les pierres transportées par le chaland, étudiées par Pierre Excoffon, sont de taille et de forme diverses, mais disposent d’une face supérieure et une face inférieure planes, et chacune était transportable par un seul homme. Les études pétrographiques et pétrophysiques réalisées par l’équipe de géologues du CICRP, sous la direction de Philippe Bromblet, ont confirmé que les pierres proviennent des carrières de Saint-Gabriel (Ernaginum). Exploitées depuis l’Antiquité jusqu’à l’époque moderne, ces carrières ont fourni, durant des siècles, des blocs de pierres calcaires parmi les meilleures des molasses burdigaliennes de Provence pour la construction. L’origine de la cargaison, située à 15 km au nord d’Arles, nous indique donc le sens du dernier voyage du chaland avant son naufrage et permet de proposer des hypothèses quant à sa destination. Soit Arles, où l’épave a été retrouvée, pour l’alimentation des chantiers de construction de la ville : aménagements de berges, constructions monumentales ou domus. Soit la Camargue, un territoire situé entre Arles et la mer, pour la construction de villas, de fermes, de voies et de berges.
Découvert à la poupe, le mobilier de bord du chaland Arles-Rhône 3 était séparé du dépotoir portuaire qui recouvrait l’épave par une couche d’argile d’une vingtaine de centimètres d’épaisseur. Ces objets s’organisent autour d’un fond de dolium réutilisé comme brasero. L’ensemble comprend vingt pièces, dont une lampe présentant des traces d'utilisation, un pot caréné en céramique grise rhodanienne, un bord d’urne en céramique modelée varoise et trois fragments de vases en céramique à parois fines, deux assiettes et une coupelle en céramique sigillée sud-gauloise, un mortier de la vallée du Rhône. Seules les trois pièces en céramique sigillée sud-gauloise permettent, et ce avec une assez bonne précision, de situer chronologiquement le naufrage du chaland : entre les années 50/55 et 65/70 apr. J.-C. A côté de la vaisselle de bord, trois outils et un élément d’accastillage ont été découverts. Sans liaison directe avec les activités de navigation et de batellerie, il s'agit de trois outils en fer de nature multifonctionnelle, encore pourvus de leur manche en bois pour deux d'entre eux. On compte une serpe vigneronne, liée aux travaux de la vigne, une houe (outil agricole), un fer plat à douille qui s’apparente à un écorçoir utilisé en sylviculture ainsi qu'un réa de poulie en bois. A l’avant, du bois de chauffage destiné à alimenter le brasero, a été retrouvé sur le fond de la coque.
L’épave Arles-Rhône 3, longue de 31 m, est celle d’un chaland, c’est-à-dire un bateau à fond plat destiné à naviguer uniquement en milieu fluvial. Sa construction est complexe et relève d’un savoir-faire élaboré et original : flancs monoxyles taillés dans des demi-troncs de sapins, étanchéité de la coque assurée par lutage selon la tradition méditerranéenne, proue filiforme jamais rencontrée en Europe.
Arles-Rhône 3 s'inscrit dans la famille des chalands gallo-romains du bassin rhodanien caractérisé par des influences d’origine maritime méditerranéenne. A l’interface entre la Méditerranée et le Rhône, les chantiers navals d’Arles ont sans doute joué un rôle de creuset de ces influences maritimes qui se sont ensuite propagées par la voie fluviale jusqu’à hauteur de Lyon et, sans doute, au-delà en direction du haut Rhône et de la Saône.
Scellé dans les limons du Rhône par sa lourde cargaison de pierres, et rapidement recouvert par une épaisse couche d’argile et d’autres sédiments fluviaux, le chaland présente un état de conservation exceptionnel pratiquement d’une extrémité à l’autre et dans toutes ses élévations. La coque est complète à 93% et a en outre conservé l’ensemble de ses aménagements internes ainsi que ses appareils de navigation : son mât de halage ainsi qu’une pelle de gouverne qui lui a été associée. Deux perches de sonde et divers cordages viennent compléter l’accastillage du bateau. La monnaie votive du bateau a également été découverte. Les nombreuses inscriptions (C.L.POSTV, NOBILM…) retrouvées imprimées dans les bois du chaland constituent l’un des plus gros corpus épigraphique jamais retrouvé sur une épave antique.
Le naufrage du chaland a été aussi soudain que violent puisque la cargaison était intacte et que les bateliers n’ont pas eu le temps de récupérer leurs effets personnels. Si le bateau présente de nombreuses réparations et autres avaries qui auraient pu causer des voies d’eau, c’est l’hypothèse d’une crue, dont témoigne l'épaisse couche d'argile retrouvée sur le fond de la coque, qui est privilégiée pour expliquer cet épisode tragique.
Une coque conservée à plus de 90% avec l’ensemble de ses aménagements internes suffit à faire de cette épave une découverte exceptionnelle. Qu'elle ait conservé ses appareils de navigation en fait l'une des épaves de bateau parmi les plus complètes au monde. Les études d’architecture navale initiées par Michel Rival (CCJ/CNRS) et poursuivies par Sabrina Marlier et Pierre Poveda ont mis en évidence les caractéristiques originales du chaland Arles-Rhône 3. Le fond plat, la sole, est constitué de six grandes planches, les bordages, de 5 cm d’épaisseur, disposées sur trois files. De part et d’autre de la sole prennent place des bouchains qui permettent d’assurer la transition entre le fond et les flancs de l’embarcation. Ceux-ci sont formés par d’imposantes pièces : des demi-troncs d’arbres, surmontés sur l’avant et sur l’arrière par des planches de plat-bord. Les bouchains et les bordés de flanc en demi-tronc permettent d’assurer la rigidité longitudinale du bateau tandis que la rigidité transversale est assurée à l’intérieur de la coque par toute une série de pièces transversales : quarante-sept varangues et vingt courbes. Disposée au tiers avant du bateau, l'une des varangues est une varangue-emplanture. Plus massive que les autres, elle est creusée en son centre d’une petite mortaise qui permettait de recevoir le pied de mât. Celui-ci était maintenu, plus haut, par son passage dans le banc de mât, un massif quadrangulaire disposé entre les flancs. Pour contenir la cargaison, un véritable caisson de près de 16 m de long a été mis en place dans la partie centrale du chaland. Constitué d’éléments entièrement amovibles, ce caisson ouvert pouvait accueillir un volume de près de 14 m3.
Près de 1700 clous en fer assurent l’assemblage de la coque et quatre broches assurent le maintien du banc de mât aux flancs, la proue est par ailleurs ceinturée par une véritable armature métallique. Analysés par A-Corros, les clous, d’une finesse remarquable, ont la particularité d’avoir été réalisés avec un alliage de fer et de carbone de très bonne qualité qui les assimilerait, aujourd’hui, à des clous en acier. Le poids de la coque a été calculé à huit tonnes pour le bois et 237 kg de métal (clous et ferrures).
L’étanchéité de la coque était assurée par lutage. L’étude textile réalisée par Fabienne Médard (Anatex) montre que les tissus employés, placés entre les planches de la coque avant assemblage, étaient des chiffons de laine récupérés, trempés dans de la poix et amalgamés. Cette même résine de pin chauffée était également répandue sur l’intérieur et l’extérieur de la coque.
L’étude xylologique, conduite par Sandra Greck (Ipso Facto), a identifié que le chêne caducifolié, bien résistant aux charges et aux chocs, avait été employé pour la construction du fond de la coque (sole, bouchain, varangues, courbes) et les plats-bords, et que les flancs, comme la majorité des aménagements internes avaient été façonnés dans du bois de résineux (sapin, épicéa, pin) permettant d'alléger l'embarcation par leur faible densité.
Les analyses dendrochronologiques de Frédéric Guibal (IMBE/CNRS) révèlent que c’est un sapin de 40 m de hauteur, de 90 cm de diamètre, et de plus de 300 ans d’âge qui a été abattu, puis fendu en deux dans sa longueur pour former l’essentiel du corps des flancs. La dendrochronologie permet aussi de dater assez précisément l’abattage des arbres employés à la construction du bateau : peu après 47 apr. J.-C. pour le sapin et peu après 49 apr. J.-C. pour le chêne. Le début des années 50 peut ainsi être avancé pour la construction de ce chaland. Bien que les bois de résineux ne proviennent pas du littoral méditerranéen, ce bateau a pu être construit dans les chantiers navals d’Arles, par un acheminement des billes de bois par flottage. La poix utilisée pour assurer l’étanchéité a en revanche été produite dans un environnement méditerranéen (Pauline Burger, British Museum).
Rangé dans le fond du caisson, le mât en frêne découvert est une pièce exceptionnelle. Sa taille réduite (3,70 m de hauteur), ses différents aménagements ainsi que les traces de passage de cordages permettent en effet de l’interpréter, sans aucun doute possible, comme un mât de halage, le premier découvert à ce jour. Installé au tiers avant du chaland afin de rendre plus efficace le halage du bateau, assuré par une vingtaine d’hommes. Une rame-gouvernail en chêne, de 7,20 m de longueur, trouvée à proximité de l’épave lui est associée sur la base de datations concordantes. Disposée à l’origine dans l’axe arrière du bateau, cette rame, manœuvrée par un seul homme, permettait d’assurer la direction du chaland. A la proue du bateau, deux perches de sonde et un gros cordage, lié à l’amarrage ou au maintien du mât, ont également été découverts. C’est aussi à la proue, coincée entre deux pièces d’architecture, que la monnaie votive du bateau a été découverte. La restauration et l’étude numismatique conduites par Joël Françoise (Arc-Numismatique) permettent d’identifier un denier républicain en argent frappé en 123 av. J.-C., à Rome, au nom de C. Cato, de la famille des Porcia. Mise en place au moment de la construction, cette pièce en argent était destinée à assurer au bateau la bienveillance des dieux.
Le chaland comporte aussi un corpus épigraphique important. Huit inscriptions ont été marquées au fer sur plusieurs pièces en bois. Parmi ces inscriptions, C. L. POSTV renvoie sans doute à deux personnages d'une même famille : Caius et Lucius Postumius qui pourraient avoir été les constructeurs ou les propriétaires du navire. L'étude des autres inscriptions est actuellement en cours (Nicolas Tran, Université de Poitiers). Une série de sept graffites, probables repères de montage destinés aux charpentiers de marine, a été également découvert sur le chaland.
Musée départemental Arles antique - Presqu'île du Cirque romain, 13200 Arles.
Le chaland Arles-Rhône 3 et 488 objets ayant trait à la navigation, au commerce et aux activités du port romain d’Arles sont présentés dans une nouvelle aile du musée départemental Arles antique inaugurée le 4 octobre 2013.
- Plus de photos sur le site du National Geographic : Comment redonner vie à une épave immergée pendant deux millénaires ?
- Voir la série vidéo : Arles Rhône 3 - les mystères du Rhône
Pays | France |
Aire marine protégée | Non |
Département | Bouches-du-Rhône |
Commune | Arles |
Lieu-dit | Rive droite du Rhône |
Code EA | 20-718 |
Nature du site | Épave de navire |
Chronologie | Antiquité |
Indicateur de période | C14, mobilier de bord, contexte archéologique, dendrochronologie |
Structures | Coque, gréement, cargaison, mobilier de bord |
Mobilier |
Amphores :
Céramiques : sigillées sud-gauloise, parois fines de Bétique, commune réductrice (grise rhodanienne), mortier à bandeau, un col de cruche, pot en commune claire, urne en modelée varoise, lampe à huile. Autre : Cargaison : blocs de pierres calcaires provenant des carrières de St-Gabriel (poids du chargement estimé entre 21 et 31 tonnes) Outils : houe, serpe vigneronne, fer plat à douille, réa de poulie Autres : monnaie votive, pelle de gouverne, perches de sonde, mât de halage (unicum archéologique) |
Lieu d'exposition | Musée départemental Arles antique |
Contexte |
Géologie : Limons du fleuve
Situation : immergé, dépotoir portuaire Profondeur : -4 m à -9m |
Historique des recherches |
Déclaration : 2004 - Luc Long (Drassm)
Expertise: 2005 /2006 : Luc Long (Drassm) Opérations: Sondage : 2007 - 2ASM Fouille Programmée : 2008-2011 - Sabrina Marlier, David Djaoui, Sandra Greck, Mourad El-Amouri |
Commentaires | Coque conservée à 93% |
Rédacteur | Sabrina Marlier |