L’épave de Paragan est celle d’un voilier de cabotage construit en Méditerranée entre la fin du XVIIe siècle et le début du XVIIIe siècle. Elle repose par petit fond dans l’anse du même nom.
En juin 2015, Jérôme Poggi découvre dans l’anse de Paragan une épave en apparence bien préservée affleurant à la surface à faible profondeur. Le Drassm organise rapidement une expertise au vu de la fragilité des vestiges et de leur accessibilité. Bien qu’à ce stade de l’étude très peu de mobilier ait été découvert sur le site, sans doute en raison de la possible récupération de la cargaison dès le naufrage, quelques tessons de céramique ligure permettent de dater l’épave de la fin du XVIIe siècle ou du début du XVIIIe siècle.
En avril 2016, cette épave a été choisie pour être l’un des deux chantiers-école du Master of Maritime and Coastal Archaeology, (MoMARCH, AMU, Aix en Provence). Trois opérations de fouilles programmées ont été organisées dans ce cadre. Une quatrième année de fouille a dû être annulée en raison de la pandémie de Covid-19.
Suite à sa déclaration, une expertise de l’épave est menée en juillet 2015 par Franca Cibecchini (Drassm), Franck Allegrini Simonetti (CDC) et Béatrice Di Meglio (Mairie de Bonifacio).
En avril 2016, une première opération est organisée par le Drassm et l’Université d’Aix-Marseille sous la direction de Franca Cibecchini et la codirection scientifique d’Eric Rieth (CNRS-MNM), et avec la participation de membres du Centre Camille Jullian et de la Scop Ipso Facto.
L’objectif principal de cette fouille était d’identifier le principe et les procédés de construction et de réaliser une hypothétique restitution du navire original et de ses qualités nautiques, afin d’apporter de nouvelles données sur la navigation de cabotage à l’époque moderne.
En second lieu, cette fouille devait permettre aux étudiants du Master MoMArch d’acquérir les méthodes et techniques de la fouille d’une épave de navire moderne.
La fouille programmée a permis d’étudier l’arrière de l’épave, sans démontage, celle de la zone du maître-couple et de l’emplanture du mât dans la partie centrale, ainsi que la zone de la proue qui s’est avérée brisée, avec de nombreux morceaux de bois sans connexion avec le reste de la coque. Cette zone s’est révélée être riche en mobilier divers lié à la vie à bord et à une cargaison complémentaire du navire.
Jusqu’à l’ouverture de la zone à l’avant de l’épave, seuls quelques fragments de faïences ligures avaient été retrouvés à l’arrière du bateau, l’équivalent de deux assiettes et un pichet. Ce n’est qu’en démontant les structures brisées sur la zone de la proue du navire qu’un lot important de mobilier appartenant probablement à l’équipage et révélateur de la vie à bord a été mis au jour, ainsi que ce qui devait constituer une petite cargaison complémentaire.
La découverte à proximité de bois de chauffage, de quelques fagots de brindilles, de fragments de céramiques de cuisine corses, d’une marmite de Savone, d’un jarron de Fréjus, d’un ou deux pichets de barque de la vallée de l’Huveaune et de quelques morceaux de brique avec traces de feu évoquent la présence d’une cuisine.
La découverte de plusieurs éléments d’un tonneau en bois appartenant à un baril de galère, c’est-à-dire un baril à eau, d’une contenance de 25 à 30 litres, destiné au transvasement de l’eau pour la consommation journalière, renforce cette hypothèse.
Dans cette même zone ont également été trouvées de petites planches en bois, dont certaines encore en connexion, qui semblent appartenir à une caisse et, surtout, plus d’une douzaine de pichets en faïence ligure.
Même sans faire partie d’une véritable cargaison, la vaisselle utilisée à bord et la caisse de pichets en faïence ligure permettent de formuler l’hypothèse d’un petit caboteur, peut-être une tartane de commerce, évoluant entre la Provence, la Ligurie et la Corse au cours des dernières années du XVIIe siècle et le début du XVIIIe siècle. Les faïences et la marmite de Savone indiquent que la barque est probablement partie de Ligurie pour son dernier voyage.
Le lot de petits pichets illustre bien la production de Savone, Albisola et Gênes. Ces pichets présentent un col large et un bec pincé, sur panse globulaire, de 15 à 18 cm de hauteur. Réalisés dans une pâte beige clair épurée, ils sont tous recouverts d’une épaisse couche d’émail stannifère blanc ou gris, à l’intérieur comme à l’extérieur, et d’un décor peint au bleu de cobalt.
La plupart des fragments sont très fragiles, avec une glaçure volatile. L’argile qui les compose se dissout dès que le sédiment est enlevé. Les exemplaires les mieux conservés et les moins noircis par le séjour dans l’eau sont ornés de larges bouquets de fleurs sur fond blanc a compendiaro, bordés sous la lèvre d’une frise de trois points a prezzomolo et de filets bleus à la base du pied.
D’autres sont couverts par de larges motifs peints à la brosse rapidement, avec des paysages ou des arceaux pointés.
Ils sont regroupés dans quelques mètres carrés à l’avant du navire. Il est difficile de les interpréter comme appartenant à la dotation de bord et à la cuisine, en raison de leur nombre trop élevé et de l’unicité des formes.
Il est en revanche assez facile d’imaginer la présence d’une caisse en bois contenant ces pichets en faïence, vraisemblablement un petit lot de marchandises stocké à l’avant du navire, peut-être dans le but de mieux les protéger. On ne peut exclure pour autant la possibilité qu’il s’agisse de la trace d’un commerce privé ou d’une commande spécifique. L’achat de petits lots d’objets destinés à un commerce privé, source de revenu complémentaire pour un membre de l’équipage ou le capitaine, est une pratique assez fréquente à toutes les époques.
L’épave est préservée sur la quasi-totalité de sa longueur jusqu’au-dessus des bouchains bâbord et tribord. Ces vestiges très bien conservés présentent encore le vaigrage mobile (appelé payol en Méditerranée), et plusieurs éléments architecturaux qui les rattachent à un navire construit selon les traditions méditerranéennes (emplanture du mât composite, assemblage de certaines varangues et allonges au moyen d’écarts à cadeau, usage quasi exclusif de clous-carvelles en fer, etc.). La structure transversale de l’épave conservée comprend les varangues et le départ des premières allonges, organisées selon un système qui s’inverse de part et d’autre du maître-couple. Par ailleurs, une grande pièce d’étrave est conservée, qui possède encore des marques de tirant d’eau.
La présence, à l'avant de l’épave, d’une pelle en bois, d’une semelle de chaussure, d’une peau ou morceau de cuir renfermant des grumeaux de brai, d’un calibre de charpentier ou encore de pièces de gréement, renvoie sans doute à la présence de soutes de service.
Les premiers essais de restitution des dimensions de l’épave de Paragan donnent un navire d’environ 70 tonneaux, d’une longueur de 19 m de long pour une largeur de 5 à 6 m de large et un creux de 2,25 à 2,40 m.
La partie la plus large de l’épave est caractérisée architecturalement par deux maîtresses varangues qui se font face et qui ont entre elles un espace (ou maille) plus réduit qu’entre les autres couples qui composent la membrure du navire. Les différents éléments conservés qui composent ce maître-couple double sont assemblés au moyen d’un écart à cadeau et cloués horizontalement, ce qui implique un assemblage des pièces de bois avant leur installation sur la quille. Cette maîtresse-section a un profil très plat qui est caractéristique des navires de transport et commerce méditerranéens.
La membrure est disposée symétriquement de part et d’autre du maître-couple. Entre le centre du navire et son extrémité arrière, les allonges sont disposées vers l’arrière tandis que du centre du navire vers son extrémité avant les allonges sont disposées vers la proue du navire. Certains couples particuliers (la maîtresse section et les couples de balancement avant et arrière) s’assemblent au moyen d’un écart dit “à dent” ou “à cadeau”, ainsi que les membrures prédéterminées comprises entre les deux couples de balancement, tandis que les autres sont simplement cloués ensemble sans autre assemblage.
L’emplanture du mât est composite. Elle est formée d’une pièce de renfort qui double la carlingue, sur laquelle s’appuie le pied du mât. Deux carlingots encadrent cette pièce centrale, renforcés transversalement par des taquets maintenus par des clés d’assemblage à queue d’aronde.
Cette solide emplanture est flanquée d’une zone quadrangulaire entre les taquets, constituée par des planches clouées sur de petits montants, qui devait correspondre à la zone de l’archipompe où se situait la pompe de cale.
Deux éléments assemblés de l’étrave et de la fausse-étrave ont été retrouvés, déconnectés du reste de l’épave, dans la zone perturbée par le naufrage, au sud-est du site. L’extrémité inférieure de la pièce présente un écart à dent servant sans doute à son assemblage avec un brion qui n’a pas été retrouvé. L’extrémité supérieure présente un écart à empature. Cette pièce présente des chiffres romains gravés de V à VIII, soulignés par un trait supposément parallèle à la ligne de flottaison, et dont les positions sur la pièce sont irrégulières. Il pourrait s’agir de marques de tirant d’eau.
Les caractéristiques architecturales de l’épave de Paragan la placent dans une tradition de construction navale spécifiquement méditerranéenne, attestée par l’archéologie depuis la fin du XIIIe s., et que l’on retrouve encore aujourd’hui dans plusieurs chantiers traditionnels de la côte méridionale de la Méditerranée.
Pays | France |
Aire marine protégée | Non |
Département | Corse du Sud |
Commune | Bonifacio |
Lieu-dit | Anse de Paragan, Bouches de Bonifacio |
Code EA | 30-4336 |
Nature du site | Épave de navire |
Chronologie | Période moderne |
Indicateur de période | Céramique, coque |
Structures | Coque |
Mobilier |
Amphores :
Céramiques : Autre : Pichets, pelle, fagots de brindilles, quinçonneaux, tonnelet |
Lieu d'exposition | Drassm |
Contexte |
Géologie : Sable
Situation : Immergé Profondeur : Moins de 10m |
Historique des recherches |
Déclaration : 2015 - Jérôme Poggi
Expertise: Opérations: 2016-2018 - Chantier-école MoMARCH, Drassm/CCJ/Ipso Facto. Dir. Franca Cibecchini, CoDir. E. Rieth. |
Commentaires | Partenaires : Aix-Marseille Université (AMU – A*Midex), Département des recherches archéologique subaquatiques et sous-marines (Drassm, Ministère de la Culture), Centre Camille Jullian (CCJ, UMR 7299 AMU CNRS), Société coopérative Ipso Facto, Ville de Bonifacio, Réserve Naturelle des Bouches de Bonifacio-OEC, Laboratoire de Médiévistique Occidentale de Paris (LAMOP, UMR 8589 CNRS), Laboratoire d’Archéologie Médiévale et Moderne de Méditerrannée (LA3M, UMR 7298 CNRS AMU). |
Rédacteur | Hélène Botcazou ; Franca Cibecchini ; Eric Rieth |