L’épave de La Sainte-Dorothéa se trouve à l’entrée de la rade de Villefranche par 72 mètres de fond. Il s’agit d’un vaisseau royal danois, Le Nelle Blad, qui fut réarmé au commerce en Méditerranée sous le nom de Sainte-Dorothéa. Le chargement est encore inconnu, même si plusieurs dossiers d’archives relatent l’histoire du navire. L’épave fut découverte en 1985 et a fait l’objet d’une expertise et de deux campagnes de sondages. Parti de Cadix pour se rendre à Gênes, le navire a sombré le 25 avril 1693.
Découverte en 1985 par François Sarti et Raymond Ruggiero, l’épave fut rapidement expertisée en 1986. En 1990, deux campagnes de sondage ont été organisées par le Drassm afin de préciser l’étendue des vestiges ainsi que leur état de conservation et de juger de la faisabilité d’une fouille systématique. La profondeur et l’envasement de l’épave ont exigé la mise en œuvre de moyens techniques importants, dont un sous-marin monoplace et un ROV, mis à disposition par la Comex. Le site se présente comme un vaste tumulus, long de près 40 m pour 10 m de large. La coque et la cargaison de l’épave sont parfaitement conservées au-dessous d’une épaisse couche de vase, très volatile en surface.
Au cours de l’expertise de 1986, dirigée par Alain Visquis, seules des plongées classiques à l'air ont été effectuées. Elles ont permis de dresser un premier croquis du gisement et de repérer 13 canons, deux chaudrons en alliage cuivreux et quelques céramiques. Les deux campagnes de 1990 sur l’épave ont été réalisées par le Drassm, sous la responsabilité scientifique de Michel L’Hour, grâce au soutien financier d’EDF et à la logistique de la Comex. Un des principaux objectifs de ces campagnes était de démontrer la faisabilité d’une fouille profonde et, par conséquent, de tester un certain nombre d’équipements expérimentaux. La logistique mise en oeuvre sur le site comprenait le navire de recherche Minibex de la Comex, avec le sous-marin monoplace Remora, un ROV de type Achille et un blaster, ainsi que le navire du Drassm, L’Archéonaute. Le sous-marin a permis de travailler 8 à 9 heures par jour sur l’épave et d’accumuler des observations de détail qui auraient nécessité plusieurs mois en plongée classique. L’usage de cameras vidéo professionnelles, manoeuvrées par un cameraman ou fixées sur le ROV, a complété la documentation photographique plus traditionnelle. Pour le relevé du site, un nouveau système de positionnement qui fonctionne sur base acoustique courte (Sharps 5110) a été expérimenté. Les difficultés de mise en oeuvre, ajoutées au coût élevé et au caractère trop schématique des plans obtenus de cette manière, ont remis en question son utilisation. De même pour le prototype du blaster testé, qui a été jugé trop destructif.
L’orientation du tumulus selon un cap de 220° laisse penser que le navire s’apprêtait à doubler la pointe de l'entrée de la rade de Villefranche lorsqu'il a sombré. Les canons de la batterie haute sont encore en place, enfoncés à mi-hauteur dans la vase et inclinés à 45°. Les canons de la batterie opposée présentent la même configuration. A l’arrière du navire, un amas de briques de four signale la présence de l’une des cuisines de bord. Un sondage rapide dans cette zone (S1) réalisé avec une lance à eau, a révélé un lot important de poteries diverses. Un deuxième sondage (S2) plus au nord, entre les canons, a permis de dégager une partie du bordé. Enfin, un troisième sondage, à l’est et symétrique à S1, a révélé la présence de caisses et de barriques.
Les opérations de 1986 et de 1990 n’ont apporté aucune information précise sur la cargaison de la Sainte Dorothéa. Le mobilier découvert provient de la zone de la cuisine, à proximité du four renversé, et appartient à la dotation de bord. Il s’agit d’un lot de vases en céramique parfaitement conservées et de deux chaudrons en alliage cuivreux, dont un porte l’inscription NELLE BLAD, suivie de la date 1685, qui a permis une première identification du navire. Un des sondages effectués sur bâbord en 1990 a révélé la présence de caisses et de barriques encore closes et bien rangées, dont on ne connaît pas le contenu. Vaisseau conçu pour la guerre en Baltique puis réaffecté au commerce en Méditerrané, la Sainte Dorothéa est un jalon exceptionnel dans l’histoire maritime européenne d’époque moderne.
Tout le mobilier récupéré provient de la zone du four et appartient à la vaisselle de bord. Il s’agit de deux chaudrons de cuisine en alliage cuivreux, munis d’anses, faits d’une tôle martelée, repliée et rivetée, d’une contenance respective de 60 et 40 litres. Le plus petit d’entre eux, porte plusieurs inscriptions. D’un côté, on remarque une couronne surmontée d’une croix, avec en bas la date 1655 surchargée d’une contremarque C7. De l’autre côté, on déchiffre une longue inscription NELLE BLAD : VEIG : 3L (ou 3E) : I = I :1./2 I = I A° 1685. Hormis la date et le nom d’origine du bateau, Nelle Blad, la signification des autres chiffres n’a pas encore été élucidée. Du même endroit provenaient quatre jarres espagnoles, dont l’une est vernissée verte, d’une capacité comprise entre 5 et 10 litres. Ces jarres, produites dans la région de Cadix et de Séville, sont très largement diffusées en Espagne et sur les sites du réseau commercial espagnol entre le XVIe et la seconde moitié du XVIIIe siècle. Leur contenu était principalement de l’huile d’olive, des olives confites ou du vin. L’origine d’une jarre de grande capacité (contenance 210 litres), peut-être destinée à conserver de l'eau ou de la saumure, fait encore l’objet de discussion. Une bouteille en grès classique de type Bellarmine, est ornée d’un masque barbu sur le col, selon la tradition du portrait du cardinal Bellarmin. Ces cruches étaient produites en masse à Cologne et Frenchen (Allemagne) entre le XVIe et le XIXe siècle. Une bouteille provençale à anse de suspension, de couleur verte, contenait vraisemblablement de l’huile. Enfin, un lot de céramique de cuisine, qui comprend une marmite de Savone (Ligurie), une assiette ligure en faïence, une petite marmite entièrement vernissée d’origine espagnole et un petit toupin à pâte rouge et vernis plombifère, pourrait être d’origine catalane.
Au moment du naufrage, tout ce qui se trouvait à bord a été abandonné, il serait donc possible, grâce à une fouille scientifique et méthodique, de restituer avec beaucoup de précision la vie à bord d’un navire de commerce du XVIIe siècle.
La Sainte-Dorothéa est légèrement couchée sur le flanc droit, avec de nombreux canons encore en place à tribord. Sur le flanc opposé, d’autres canons ont légèrement culé. Le sondage dans la zone du four a permis de dégager un double bordé de chêne. Une très grosse pièce de bois cylindrique, dégagée sur quelques mètres, pourrait être l’un des mâts du navire. Selon les observations effectuées sur le site, le navire semble être conservé jusqu’au niveau du pont supérieur, c’est à dire sur près de six mètres au-dessus de la quille. Au quart bâbord avant, une très grosse ancre se trouve encore à l’exact emplacement qu’elle devait occuper au moment du naufrage.
Le double bordé de chêne dégagé en 1990 a une épaisseur de 12 cm et il est apparemment protégé par un revêtement de bois tendre. Les canons visibles au fond sont au nombre de 13, dont un a été remonté en 1990. Il s’agit d’un canon en fonte de fer, de calibre 12 et long de 2,72 m, qui a été soumis à un traitement par électrolyse. On a pu identifier sur la culasse le blason danois, un lion tenant une hallebarde cintrée, et la date 1691. Sur le fût du canon on note également la présence des initiales PB, à relier peut-être au fondeur ou à la fonderie qui a fabriqué le canon. Une hypothèse vraisemblable est d’y reconnaître les initiales de Peter Burting, fondeur norvégien actif de 1669 à 1702 et qui semble avoir vendu des pièces d’artillerie aux arsenaux danois.
Trente boulets, agglomérés dans une concrétion, dont un boulet ramé, ont été également remontés.
Construit pour la Marine Royale Danoise en 1672 dans le Holstein (Allemagne) le vaisseau de 50 canons Nelle Blad est revendu 5000 dalers le 9 août 1691 pour servir au commerce. Son nouveau propriétaire Peter Klauman, marchand de Copenhague, rebaptise le navire Santa Dorothea, en hommage à sa femme Dorothée. Le navire fait voile en 1692 pour l’Espagne et, parti de Cadix à la fin de cette même année pour se rendre à Gênes, il fait naufrage à Villefranche le 25 avril 1693, après une courte escale à Marseille. Les circonstances du naufrage ne sont pas claires. On ne connaît pas non plus le détail de sa cargaison au jour du naufrage car il n’a pas été possible de retrouver le dernier connaissement du bâtiment. Une tentative de renflouage du navire est organisée en 1694, avec l’accord de Louis XIV, mais l’évolution de la politique européenne en décide autrement. En 1726 plusieurs hauts notables constituèrent une « Compagnie pour la pesche des Vaisseaux » qui se proposait clairement de ramener la Dorothéa à la surface. C’est dans ce document, adressé au duc de Savoie et roi de Sardaigne Victor Amédée II, que l’on trouve la mention la plus explicite sur la cargaison. Nous ne connaissons pas le sort de ce projet, qui échoua ou plus vraisemblablement qui fut abandonné.
Construit à Eckenförde (Allemagne), en 1672 le Nelle Blad est classé comme vaisseau de troisième rang/deuxième ordre, il portait 50 canons et était armé en guerre par un équipage de 300 hommes. Vendu au commerce en 1692 et rebaptisé Santa Dorothea, l’histoire commerciale de ce navire devient difficile à écrire. Nous ne connaissons pas sa cargaison au jour du naufrage, en dépit de longues recherches en archive. La richesse des fonds espagnols laisse ouverte la possibilité de retrouver un jour le dernier connaissement du bâtiment. Les archives nous relatent néanmoins que la Dorothéa avait embarqué un fret important à Marseille et que les Sollicofre, puissants négociants et banquiers suisses de Marseille, étaient impliqués. Les documents en notre possession précisent que le bateau et sa cargaison étaient assurés pour une valeur très élevée lors de son départ de Marseille. Cette donnée a fait supposer une tentative d’escroquerie à l’assurance de la part du propriétaire et du capitaine, hypothèse qui semble néanmoins difficile à soutenir. En effet, le capitaine danois fut réintégré sans difficulté dès l’année suivante dans la Marine Royale et l’hypothèse d’une escroquerie n’est jamais évoquée lors du procès intenté au propriétaire du navire par l’équipage.
En 1694, Jacques Colanier, un bourgeois de Marseille, s’accorde avec Sieur Régis, écrivain principal des galères, sur un projet de renflouage de la Dorothéa. Le roi Louis XIV, qui vient d’occuper le duché de Savoie, dont Villefranche faisait partie, donne son accord au projet. Sieur Régis, qui finançait l’opération, demande à Colanier d’essayer préalablement sa machine par faible fond. Après quelques échecs, nous savons par les archives qu’en octobre 1695 le navire Notre-Dame de Bonne Rencontre, coulé dans le port de Pommègue, est relevé par Colanier. Le 29 août 1696, la ratification d’un traité de paix entre la France et la Savoie, suivi du retrait des troupes françaises, met fin à ce projet ambitieux. En 1726 la « Compagnie pour la pesche des Vaisseaux » se propose de ramener à la surface la Dorothéa à l’aide d’une machine inventée par le Sieur Alexandre Goubert. On ne possède aucune information sur le sort de ce nouveau projet mais l’on peut supposer qu’il n’a pas abouti. Nous savons grâce aux archives que cette nouvelle machine aurait été expérimentée avec succès en février 1742 sur l’épave d’un galion espagnol, le Tojo, perdu en 1702 en « baie de Vigo ».
Le nom danois Nelle Blad du vaisseau, en français "feuille d'ortie", dérive de l'emblème héraldique de la région d'Holstein, où il a été construit.
Le principe de la machine envisagée par Colanier pour le renflouage de la Dorothéa semble avoir reposé sur la mise en œuvre d'outres en cuirs fixées à l'épave et gonflées.
Pays | France |
Aire marine protégée | Non |
Département | Alpes-Maritimes |
Commune | Nice |
Lieu-dit | Au large de la pointe de la Rascasse |
Code EA | 30-171 |
Nature du site | Épave de navire |
Chronologie | Période moderne |
Indicateur de période | Archives, mobilier. |
Structures | Coque, canons, mobilier divers. |
Mobilier |
Amphores :
Céramiques : Jarres à olive, marmite et toupin espagnols, marmite et assiette ligures, Bellarmine en grès rhénan, bouteille provençale. Autre : Métaux : Chaudrons. Armement: canons (13 visibles), boulets dans une concrétion. Autres : briques, cordages, ancre. |
Lieu d'exposition | |
Contexte |
Géologie : Vase
Situation : Immergé Profondeur : - 72m. |
Historique des recherches |
Déclaration : 1985 - Raymond Ruggiero, François Sarti
Expertise: 1986 - Alain Visquis Opérations: 1990 - Michel L'Hour (DRASSM), COMEX. |
Commentaires | |
Rédacteur | Franca Cibecchini |