L’épave d’un P-47 gît par 30 mètres de fond, au large de Meria. Ce chasseur américain produit aux États-Unis à partir de la Seconde Guerre mondiale est particulièrement bien conservé au moment de sa découverte en 2020. L’une des hypothèses avancée permet de penser qu’il aurait peut-être coulé en 1944, soit après la Libération de la Corse.
En août 2020, un élément accroche, dans les eaux du cap Corse, les filets du pêcheur Michel Astolfi. Il le signale alors à Stéphane Ramazzotti du Club de Plongée Capi Corsu Diving qui plonge sur le point. Il découvre alors un P-47, sur un lit de posidonies et de sable. L’épave est encore bien conservée, par comparaison aux autres épaves d’aéronefs souvent généreusement pillées.
Reposant sur le dos, l’avion apparaît quasiment intact, bien qu’impacté par la corrosion, due à l’eau de mer. Les ailes et la queue sont encore en place. Seuls le nez de l’avion et son hélice semblent s’être détachés, gisant dans la continuité du fuselage de l’avion.
La verrière ouverte permet de voir, encore en place, le tableau de bord et les palonniers. Les mitrailleuses, probablement des mitrailleuses Browning M2, placées sous les ailes de l’avion, sont, elles aussi, conservées. Quant au train d’atterrissage, on distingue la roue de l’élément porteur à la queue de l’appareil et, au niveau des ailes, les pattes de train télescopiques repliées.
Seule l’absence du manche et d’un manomètre laisse à penser que le site a peut-être été visité antérieurement mais il est aussi possible que le manomètre n’était pas intégré dans l’équipement de l’aéronef. Au niveau de la queue, une poussière rosâtre a été notée par les plongeurs qui ont découvert puis photographié le site. Il pourrait s’agir des vestiges de la peinture d’origine.
Le modèle correspond à un P-47 Razorback, reconnaissable par son épine dorsale effilée comme celle d’un sanglier, et la forme de sa verrière coulissante avec montants. En effet, à partir de mai 1944, de nouveaux modèles de P-47 sont lancés avec une verrière en forme de bulle.
Le P-47 Thunderbolt, l’un des principaux chasseurs-bombardiers américains de la Seconde Guerre mondiale, est l’avion de chasse américain le plus produit lors du conflit. Il est surnommé « The Jug » (« La Cruche ») en raison de sa taille, sa forme et sa masse imposantes. Il a été le plus lourd et le plus robuste des monomoteurs de chasse américains. Son puissant moteur en étoile, couplé à sa grande hélice, lui procure une grande vitesse ascensionnelle ainsi qu’une bonne vitesse en palier à toutes les altitudes. Son armement composé de mitrailleuses, de roquettes et de bombes est particulièrement redoutable. D’abord chasseur d’escorte, mais éclipsé par l’arrivée du plus agile North American P-51 Mustang, il est employé en appui tactique notamment en raison de sa capacité à encaisser des tirs.
Conçu à partir du P-43 Lancer dessiné par Alexander Kartveli de la Seversky Aircraft Corporation qui devient ensuite la Republic Aviation Company, le prototype P-47B, avion de chasse compact bâti autour de son énorme moteur, Pratt & Whitney R-2800 très puissant, et doté d’un turbocompresseur, vole pour la première fois le 6 mai 1941.
À l’extérieur des logements de train d’atterrissage, dans chaque aile, sont hébergées quatre mitrailleuses Browning M2 alimentées par bandes, à raison de 350 cartouches par arme. L’avion possède deux réservoirs, un principal et un auxiliaire, auto-obturants d’une capacité de 1 200 litres, placés sous le poste de pilotage. Celui-ci, équipé d’air conditionné, est considéré comme spacieux et confortable. Ces caractéristiques du P-47 impliquent que ses ailes soient implantées haut sur le fuselage. Une hélice d’un diamètre de 3,17 m ainsi qu’un train d’atterrissage très grand lui permettent d’avoir une garde au sol suffisante. Afin de pouvoir loger des mitrailleuses dans le bord d’attaque de l’aile, les pattes de train sont télescopiques. Par la suite, de nouvelles améliorations sont apportées au Thunderbolt : lance-bombe ventral, régulateur du turbocompresseur amélioré, système d’injection d’eau et de méthanol qui offre un supplément de puissance, etc. Le XP-47 J, version affinée du P-47D, intègre un Pratt & Whitney R 2800 57 C capable de fournir une puissance maximale de 2 800 chevaux. L’armement est réduit à six mitrailleuses et son aile redessinée est plus légère. Le prototype de cette variante vole en novembre 1943.
Le P-47 a été produit en masse durant la Seconde Guerre mondiale, la production atteignant près de 15 000 exemplaires toutes versions confondues. Dès 1941, l’USAAF commande 850 avions. La seule usine de la Republic Aviation Company, à Long Island ne suffit pas et une nouvelle est créée dans l’Indiana. Cependant la production demeure insuffisante et Curtiss-Wright Corporation, en parallèle, produit l’avion sous licence afin de soutenir la cadence de production.
La présence de nombreuses épaves de navires ou d’aéronefs de la Seconde Guerre mondiale le long du littoral insulaire permet de souligner la place occupée par la Corse au cours de ce conflit. D'abord théâtre d’opérations secondaires avant la Libération, elle est ensuite placée en première ligne entre 1944 et 1945. La découverte du P-47 de Meria est fondamentale pour comprendre et illustrer les derniers temps du conflit et le rôle des États-Unis.
Parmi les hypothèses avancées, il pourrait s’agir de l’avion d’Earl Sherard du 332nd Fighter Group 100th Fighter Squadron. En effet, le 22 juin 1944, alors en route pour une mission, en formation serrée dans les airs avec 48 de ses camarades, son avion et ceux de trois autres pilotes se sont abimés en mer. Earl Sherard sera le seul à s’en sortir.
L’observation préliminaire du site et l’identification de l’épave comme un P-47 américain de la Seconde Guerre mondiale ont permis d’émettre une hypothèse quant à l’identité de son pilote. Le 22 juin 1944, une mission vers La Spezia est prévue avec un plan de vol en triangle de façon à éviter la Flak allemande. Il s’agit pour les 332nd Fighter Group 100th Fighter Squadron de décoller de leur base de Ramitelli en Italie, longer le cap Corse et ensuite se diriger vers La Spezia. Alors que 49 avions survolent en formation serrée et en rase-motte le Cap Corse, trois d’entre eux, déstabilisés par de fortes rafales de Libecciu, s'abîment en mer. Earl Sherard est le premier à amerrir, suivi de Samuel Jefferson, puis de Charles B. Johnson. Leur capitaine, Robert Bernard Tresville tombe bien plus haut, du côté de Vintimille, peut-être après avoir réalisé qu’il avait perdu des membres de son escadre. Seul Earl Sherard survit à son accident. En effet, son avion ayant pris feu, il parvient néanmoins à se poser en mer, après un ricochet. S’extrayant de l’avion, sain et sauf, il marche sur l’aile, se débarrasse de son parachute et gonfle son gilet de sauvetage avant que l’avion ne coule. Et, par chance, il est finalement sauvé en mer par une vedette de la Royal Navy, alors à proximité.
L’état de l’aéronef, quasiment intact avec la verrière ouverte, son emplacement et le modèle de P-47 sont des indices qui permettraient de pencher pour cette hypothèse formulée par Dominique Taddei. De même, la pellicule rosâtre visible au niveau de la queue pourrait être le vestige d’une peinture rouge. Or on sait que les Tuskegee Airmen peignaient la queue de leurs avions en rouge.
Cependant la vérification du numéro de marquage peint sur le côté de la queue arrière de la verrière ou du numéro de série inscrit sur la plaque intérieure permettrait probablement de confirmer ou infirmer cette hypothèse. La découverte étant récente et dans l’attente d’observations complémentaires, la question reste donc entière.
S’il s’agit bien de l’épave de l'aéronef d'Earl Sherard, ce témoignage est particulièrement intéressant. En effet, celui-ci faisait partie de l’un des rares bataillons de pilotes afro-américains de l’armée américaine, les Tuskegee Airmen.
In situ.
Voir une sélection de photographies et de vidéos prises sur site par Corse images sous-marines.
De nombreux exemplaires originaux de P-47, principalement les derniers modèles comme les P-47D, sont aujourd’hui conservés et exposés dans une quinzaine de pays.
En France, au Musée de l’Air et de l’Espace est exposé un P-47D-30-RE 44-20371, décoré avec l’insigne du G.C. 2/5 La Fayette, la tête de Sioux.
Cependant c’est aux États-Unis que l’on trouve le plus grand nombre de modèles de P-47 : une quinzaine sont exposés dans divers musées du pays (parmi lesquels quelques modèles sont en restauration) et il existe treize modèles de P-47 encore navigants.
Earl Sherard, pilote présumé du P-47 de Meria, est originaire de l’Ohio. À son retour de la guerre, il est suivi par All American news, média des années 1940 et 1950 à destination exclusive de l’audience afro-américaine, afin de valoriser et encourager l’effort de guerre de cette population (Voir la VIDEO sur Earl Sherard). Il devient, par la suite, un grand neurologue du Children’s Hospital de Colombus, Ohio, et pionnier de la recherche en pédiatrie et épilepsie. En 1987, Morgan Freeman incarne le fameux pilote dans le téléfilm Fight for Life, inspiré du combat d’E. Sherard, contre la FDA (Food and Drug Administration), pour le traitement d’une jeune enfant dans les années 1970 et l’introduction d’un médicament anti-convulsions alors interdit aux États-Unis.
Reconnaissables grâce à leur empennage rouge caractéristique, les Tuskegee Aimen se font aussi surnommer les Red Tails (littéralement « queues rouges ») ou Red Tails Angels.
Le P-47 est déployé durant la Seconde Guerre mondiale sur tous les fronts et y obtient des succès majeurs. De nombreux as américains obtinrent leurs succès sur cette machine. Le succès du P-47 Thunderbolt s’est exporté et plus de 20 pays adoptent les fameux Jug, parmi lesquels la France, l’URSS, l’Iran, la Turquie, la Chine nationaliste, la Yougoslavie, le Brésil, le Mexique ainsi que de nombreux autres pays d’Amérique latine. En France, l’armée les utilise jusque dans les années 1960, notamment durant la guerre d’Algérie ou en Indochine.
Dans les environs du cap Corse et au sud de Bastia, sept autres épaves de P-47 ont été recensées (en 2021). Néanmoins, les pillages et les conditions de leurs naufrages ne permettent généralement pas d’apprécier la forme de ce type aéronef dans son intégralité.
Pays | France |
Aire marine protégée | Parc Naturel Marin du Cap Corse et de l'Agriate |
Département | Haute-Corse |
Commune | Rogliano |
Lieu-dit | Au large de la plage de Meria |
Code EA | 30-6299 |
Nature du site | Épave d'aéronef |
Chronologie | Période contemporaine |
Indicateur de période | Archives, structures |
Structures | Cockpit, fuselage, verrière, train d’atterrissage, plancher de bord, palonniers |
Mobilier |
Amphores :
Céramiques : Autre : Mitrailleuses |
Lieu d'exposition | In situ |
Contexte |
Géologie : sable
Situation : immergé Profondeur : - 30 m |
Historique des recherches |
Déclaration : 2020 - Stéphane Ramazzotti
Expertise: Opérations: |
Commentaires | |
Rédacteur | Allison Faynot |