L’épave du Titan est celle d’un navire de commerce qui a coulé au milieu du Ier s av. J.-C. à l’est de l’île du Levant (Hyères). Le phare du Titan qui domine les falaises de l’île dans ce secteur lui a donné son nom. La fouille de cette épave, effectuée en 1957, a marqué l’histoire de l’archéologie sous-marine par son caractère scientifique précurseur.
L’épave a été découverte en 1952 par le Dr Jacques Piroux, plongeur au Club de la Mer à Antibes. Elle gisait, à plat et par 28 m de fond, dans une cuvette rocheuse au sud-est de la balise de l’Esquillade. En 1953, des photos sous-marines en couleur, une nouveauté pour l’époque, paraissent dans la presse grand public et la rendent célèbre en France. L’épave est expertisée par le Groupe de d'Etude et de Recherches Sous-marines (GERS) en octobre 1954 puis en mars 1955 juste avant qu’elle ne soit pillée. Sa fouille, assurée par le GERS avec le concours de la Marine Nationale, n’est conduite qu’en 1957. A l’issue de celle-ci, la cargaison et la coque sont entièrement remontées et entreposées à Toulon.
L’étude de l’épave du Titan innove sur de nombreux points comme la couverture photographique du site, le système de localisation des vestiges, l’étude d’architecture navale ou encore la prise en compte du problème de la conservation du bois des épaves.
L’expertise de 1954 est conduite par Phillipe Tailliez, alors capitaine de frégate dans la Marine Nationale et directeur du GERS. Elle permet de localiser précisément l’épave, de confirmer sa datation et d’établir la première couverture photographique sous-marine d’un gisement archéologique. L'opération est conduite à partir de l'Elie-Monnier, navire alloué par la Marine nationale au GERS, qui se révèle peu adapté à la conduite d'une fouille archéologique à caractère scientifique. Aussi Philippe Tailliez, soucieux de ne pas procéder à une simple "pêche aux amphores" occupe-t-il l’hiver 1954-1955 à mettre au point une stratégie de fouille et à concevoir l’équipement nécessaire. Le chaland 26, mis à disposition par la Marine Nationale, est testé sur le site avec succès à la fin du mois de mars 1955. Appelé à servir sur le Rhin, Philippe Tailliez ne peut cependant entreprendre la fouille de l’épave qu’à l’été 1957.
Le chaland 26 est équipé d’un tapis roulant pourvu de divers tamis afin de filtrer les sédiments aspirés par la suceuse à air. Les amphores, compte tenu de leur nombre, sont laissées au fond et entreposées contre les flancs de la cuvette rocheuse. Un panier-casier, pouvant en contenir seize, doit les remonter dans une deuxième phase, une fois la coque de l'épave dégagée.
La phase de désensablement de la coque initie la fouille sous-marine scientifique. Un axe repère est dressé le long de la quille. Chaque objet trouvé est ainsi localisé précisément par rapport à cette axe. Le diamètre de la suceuse est réduit pour éviter d’endommager le bois de l’épave par excès de puissance d’aspiration. Pour la première fois dans l'histoire de l'archéologie sous-marine, une coque de navire antique, fouillée sous l’eau, apparaît clairement aux yeux des archéologues. Philippe Tailliez compare alors cette structure à une « arête de poisson géante ». Le problème de l’étude de cette ossature se pose néanmoins. La solution adoptée consiste à démonter les membrures et à tronçonner la quille en plusieurs parties, afin de pouvoir transférer la structure dans un laboratoire où elle doit être réassemblée. La stratégie suivie génère plusieurs expérimentations pionnières pour favoriser la conservation des bois gorgés d’eau salée.
Cinq ans après la fin de la fouille, en 1962, Frédéric Dumas replonge sur le site. Il révèle que la disparition du tumulus d’amphores a modifié les conditions d’érosion sous-marine. Les courants ont mis le fond rocheux à nu et révélé quelques ancres, amphores et tessons supplémentaires.
On a pu estimer que la cargaison originelle du navire était composée d’environ 700 amphores (au minimum). Le pillage de l’été 1955 a probablement causé la disparition de 250 à 300 d’entre elles si bien qu’en 1957, seules 450 à 500 amphores ont pu être remontées du fond. Il s’agissait presque exclusivement d’amphores de Bétique (sud de l'Espagne) qui renfermaient essentiellement des sauces de poisson. L’épave a également livré du matériel de bord constitué de céramiques à vernis noir, de céramiques communes, de divers objets et ustensiles en bronze, en plomb ou en pierre. Deux lampes et deux monnaies complètent ce mobilier et permettent de confirmer la datation du naufrage vers 50 avant J.-C.
Le tumulus d’amphores avait une trentaine de mètres de long, pour une largeur de 12 m et une hauteur de 2 m, et était essentiellement composé d'amphores Dressel 12 disposées sur au moins trois rangs. Elles contenaient pratiquement toutes de la saumure de poissons, mais alors que certaines amphores contenaient essentiellement des têtes et queues de thonidés, d'autres contenaient des quartiers de chair et des vertèbres de ces mêmes espèces. D’autres encore contenaient des restes de gastéropodes. Une possible corrélation entre variantes morphologiques d'amphores et variétés de préparation de saumure a été observée. Les plongeurs qui ont ouvert et vidé les amphores ont noté qu’une forte odeur d’huile d’olive s’en échappait. Dans l'une des amphores a été retrouvé une poignée d’amandes très bien conservées.
Seules deux des 450-500 amphores remontées se distinguent par leur appartenance à un autre groupe de production : une amphore Dressel 10 (amphore à saumure) et une amphore Dressel 1B (amphore à vin).
La diversité du lot de céramique fine de type campanienne B découvert a conduit à penser qu’il s’agissait de vaisselle utilisée à bord et non d'une partie de la cargaison. Il se composait notamment de pyxides (formes Lamb. 2 et 3), de skyphos (Lamb. 1, Lamb. 10) et de coupes (Lamb. 5). La céramique commune découverte consistait essentiellement en olpés et en cruches. Les deux lampes à huile ont également été découvertes.
Les objets en bronze étaient très corrodés. Il s’agissait d’une grande coupe à bord plat, d’une cassolette (cyathus), d’une cuillère, d’hameçons à pointe barbelée et d’une feuille de bronze en forme de moule. Le mobilier de bronze découvert se composait égélement de morceaux de tubulure (0,05 m de diamètre), correspondant probablement à des fragments de la pompe de cale, mais aussi de lamelles et d’un plomb de sonde. Enfin, quelques objets en pierre ont été identifiés : une meule plate, une pierre à aiguiser et deux tablettes (l’une en schiste, l’autre de nature indéterminée).
Une seule des deux monnaies découvertes est lisible. Elle présente l'illustration d’une proue d'un navire de guerre, une galère romaine et pourrait être daté de 89 av. J.-C., année où une réforme du système monétaire romain a eu lieu. Cette monnaie se trouvait dans une cavité du massif d’emplanture du mât et a probablement été déposé volontairement lors de la construction du navire.
L'ensemble du mobilier mis au jour conduit à dater le naufrage des années 50-45 av. J.-C.
Le fond de carène retrouvé sous les amphores est celui d’un navire dont la longueur devait être comprise entre 20 et 25 m. Le fond de la coque était plat et était conservé sur une largeur de 4 m. On ignore la largeur maximale du bateau. En considérant que la cargaison comprenait 700 amphores de 50 kg chacune, on peut envisager un port en lourd minimum de 35 tonnes, cette estimation est sans doute très inférieure au tonnage maximum réel du navire.
Le navire était construit selon le principe « bordé premier » propre à l’Antiquité. La quille retrouvée avait une longueur de 16 à 20 m. Sa largeur était de 0,195 m et sa hauteur de 0,22 m. A l’une des extrémités du tumulus d'amphores, les plongeurs estimaient avoir découvert l’étambot dont la longueur s’élevait à 1,50 m. À l’autre extrémité du gisement, un jas d’ancre avait été repéré en 1955 et semblait désigner la proue.
Seule la partie plate de la carène a été conservée. Une membrure présente une amorce de courbe à 2 m de la quille, la muraille qui succédait à cette courbe du bouchain a disparu. Les virures du bordé étaient assemblées à franc bord et solidarisées par des tenons chevillés dans des mortaises. Les planches du bordé avaient une épaisseur de 4 à 8 cm. Dans sa partie basse, au contact de la quille, un bordé de doublage a été mis en évidence. Il était joint au premier au moyen de clous de cuivre et l'orientation des clous montre qu’il a été effectué après l’installation des membrures.
Conservées sur 1,5 à 2 m de part et d’autre de la quille, les membrures, de type varangue, étaient faites d’un seul tenant. Dans leur partie centrale, elles étaient percées d’un trou d’anguiller. Très rapprochées les unes des autres (maille de 15 cm), elles étaient clouées au bordé de deux manières : par des clous simples de cuivre ou par de longs clous de cuivre enfoncés dans des chevilles de bois traversant membrure et bordé intérieur.
Au-dessus des varangues venait s'encastrer une carlingue. Cette carlingue, les membrures et la quille étaient jointes par des chevilles verticales traversant l'épaisseur des trois pièces assemblées.
Trois essences de bois différentes ont été utilisées pour ce fond de carène : du pin (quille), du chêne et peut-être du cyprès.
Musée de la Tour Royale - Avenue de la Tour Royale, 83000 Toulon
Tél. : 04 94 36 89 16
Ouverture uniquement durant l’été.
Alors qu'il travaillait sur l'épave, Philippe Tailliez faillit y laisser la vie : lors d'une manipulation il s'est retrouvé coincé, à demi assomé et privé d'air, par le casier d'amphores qui redescendait vers le fond pour être chargé. Même vide, ce casier pesait près de deux cent kilos.
Le navire qui a servi de base de travail pour la première expertise de l'épave en 1954, l'Elie Monnier, est à son tour devenu une épave et gît aujourd'hui par 2 000 mètres de fond au large de Toulon. Ancien remorqueur de haute mer allemand, récupéré par la marine française en 1946, il avait été affecté en 1947 au GERS. Il a notamment effectué en 1948 une campagne de recherche archéologique sur l'épave de Mahdia en Tunisie.
Pays | France |
Aire marine protégée | Non |
Département | Var |
Commune | Hyères |
Lieu-dit | Sud-Est de la balise de l’Esquillade |
Code EA | 30-434 |
Nature du site | Épave de navire |
Chronologie | Antiquité |
Indicateur de période | Amphores Dr 12, monnaie |
Structures | Fond de carène, pompe de cale. |
Mobilier |
Amphores : Amphores de Bétique Dressel 12, amphore Dressel 10 et IB
Céramiques : céramiques à vernis noir (pyxide, skyphos, coupe), céramique commune Autre : objets et vaisselles en bronze (coupe, louche, cuillère), meule, pierre à aiguiser, plomb de sonde, tuile |
Lieu d'exposition | |
Contexte |
Géologie : cuvette rocheuse
Situation : Immergé Profondeur : - 28 m |
Historique des recherches |
Déclaration : 1952 - Dr. Jacques Piroux
Expertise: 1954 et 1955 - Philippe Taillez / GERS Opérations: 1957 - Philippe Taillez / GERS - Marine Nationale (fouille programmée) |
Commentaires | |
Rédacteur | Xavier Corré |