Les vestiges de l’épave Pointe de la Luque 2 sont dispersés entre 30 et 40 mètres de fond au nord-ouest de l’île de Pomègues (Frioul, Marseille). Il s’agit d’un navire chargé d’amphores africaines cylindriques de moyennes dimensions, accompagnées d’un lot de lampes à huile. C’est l'une des rares épaves de l’Antiquité tardive qui conserve une partie importante de sa coque. Elle a été déclarée en 1970 et a fait l’objet de cinq campagnes de fouilles. Le naufrage semble se situer dans les décennies centrales du IVe siècle apr. J.-C.
Découverte et déclarée par P. Lasalarie et Jean-Claude Négrel en 1970, l’épave, dite aussi Pointe de la Luque B, a été fouillée de 1971 à 1974, sous la direction de l’un de ses inventeurs, avec le concours ponctuel du DRASSM et de la Marine Nationale. La fouille mît au jour deux zones : la première, située à l’est, est moins profonde et présente une partie de la coque du navire recouverte par quelques fragments d’amphores et quelques lampes ; la seconde, en contrebas vers le nord-ouest, est plus riche en mobilier, cependant il s’agit probablement d’un déversement du chargement dans le sens de la pente du fond sous-marin. Cette fouille, grâce à la découverte d’une importante portion de coque, a été l’occasion d’expérimenter un des premiers systèmes de photogrammétrie sous-marine intégrée, mais a aussi fait l’objet d’un relevé manuel détaillé. En 1992, l’épave a été réouverte dans le cadre d’une campagne de prélèvements de bois, dirigée par le Centre Camille Jullian et par l’Institut Méditerranéen d’écologie et de Paléoécologie, pour effectuer différentes analyses sur le bois de l'épave.
Les cinq campagnes de fouille ont été menées sous la responsabilité scientifique de Jean-Claude Négrel. La découverte de la coque et d’une importante zone de mobilier, une trentaine de mètres en contrebas, transforment rapidement une opération aux modestes objectifs (établir un plan du site et remonter le matériel apparent) en une véritable fouille scientifique. L’essentiel de la fouille a été effectuée par une équipe réduite de bénévoles sans utiliser d'aspirateur à sédiment, en privilégiant un travail par ventilation à la main, considéré par Négrel comme moins destructif. L'aspirateur à sédiment à air et la lance à eau ne sont utilisés que pendant les brèves interventions du Drassm. Durant la campagne de 1972, Jean-Claude Négrel élabore un système de relevé par photogrammétrie qui sera mis au point et utilisé aussi durant les campagnes successives, en particulier pour le relevé de la coque. En 1973 la fouille de la partie basse devient plus méthodique et les amphores de cette zone sont également relevées avec précision. La dernière campagne est dédiée surtout à la prospection, spécialement celle de la zone basse de déversement. Le soutien de la Marine Nationale a permis de mener aussi une rapide prospection géophysique, à l’aide d’un magnétomètre, qui n’a pas donné les résultats attendus. La coque a été soigneusement recouverte par un film plastique recouvert de sable à la fin de chaque campagne.
Les prélèvements de bois effectués en 1992 s’inscrivent dans le programme de recherche « Dendrochronologie et dendromorphologie des épaves antiques de Méditerranée » engagé par le Centre Camille Jullian et l’Institut Méditerranéen d’écologie et de Paléoécologie, sous la direction de Patrice Pomey (CNRS) et Frédéric Guibal (CNRS). Dans le cadre de ce projet, une dizaine de jours ont été consacrés à la coque de Pointe de la Luque 2, avec le soutien de L’Archéonaute du DRASSM. L’épave a donc été réouverte 18 ans après la fouille pour prélever de nombreux échantillons de bois qui ont permis de déterminer les essences utilisées et le mode de débitage des bois.
Le chargement principal du navire était composé d’amphores africaines de plusieurs types, dont le contenu n’est pas clairement identifié : saumures de poisson ou vin plutôt que de l’huile. Quelques centaines de lampes, également produites en Afrique du Nord, complétaient la cargaison. Plusieurs d’entre elles portent sur le fond la signature de potiers de Maurétanie Césarienne (Algérie actuelle). Trois petites amphores d’origine sicilienne et un petit lot composé de céramiques fines et de céramiques communes appartiennent en revanche à la dotation de bord. Les estampilles présentes sur un grand nombre de lampes, notamment celui de Cecilius bien attesté à Cherchell avec des monnaies de 333-335 pour les plus tardives, permettent de dater le naufrage dans les décennies centrales du IVe siècle.
Des 177 amphores africaines récupérées sur le site, seules 65 ont été retrouvées lors de l’étude la plus récente. La grande majorité d’entre elles appartient à la famille du type Keay 25 (à vin ou à sauces de poisson), suivie de quelques exemplaires du type Keay 27 A (à huile ?) et du type Africaine II D (à saumure). Il s’agit de formes produites dans plusieurs zones de la côte africaine septentrionale : une partie des Keay 25, en particulier les Keay 25.3, sont probablement originaires de Nabeul (Tunisie) tandis que les autres pourraient provenir d’autres ateliers de Tunisie ou même d’Algérie. Ce type d'amphores semble destiné au commerce du vin ou des sauces de poisson, exception faite de quelques variantes qui pourraient transporter des olives en conserve. Du lot d’environ 300 lampes qui complétait la cargaison, 95 sont aujourd’hui disponibles. Elles appartiennent au groupe des lampes dites ovoïdes à bec rond et ont été classées, selon la décoration du bec, en cinq sous-types portant divers motifs. De nombreux exemplaires présentent sur leurs fonds plusieurs variantes de timbres (de oficina cecili ; victor ; vic rusinus ; nus q ctors ; rinus qicto ; visiari) qui ont été regroupés en trois grandes familles de potiers : Victor ou Victorinus, Cecili et Visiari. L’attestation des signatures de potiers victor, victorINUS et cecilius à Cherchell et Tipasa laisse penser à une provenance de Maurétanie Césarienne (Algérie actuelle). Une lampe multiple à sept trous de mèche pourrait plutôt appartenir à la dotation de bord.
Trois amphores à vin de forme Ostia I, 455, d’origine sicilienne et peut-être certaines des amphores africaines appartenaient certainement à la dotation de bord. Par ailleurs, une cruche et un pot (Lamboglia 14/26) en céramique luisante, deux marmites en céramique modelée, deux cruches en céramique commune africaine ainsi que des céramiques de cuisine africaines (fragments d’un couvercle Hayes 196 et d’un plat Hayes 23), constituent une autre partie de la dotation de bord. Enfin, des plombs de pêche, un épissoir en corne et un fragment de panier en osier enduit de poix (ces deux derniers ne sont connus que d’après photo et description) témoignent également de la vie à bord.
Le mobilier céramique et en particulier les timbres de oficina cecili sur les lampes, permettent de dater le naufrage dans les décennies centrales du IVe s.
Un fragment important de la coque est conservé sur huit mètres de long pour cinq de large. Cela fait de l’épave Pointe de La Luque 2 l'une des mieux préservée et étudiée pour la période de l’Antiquité tardive. Les vestiges orientés nord-ouest se composaient d’une quille conservée sur environ six mètres de long, un bordé simple assemblé à franc-bord par des assemblages à « tenons et mortaises », plusieurs membrures, un massif d’emplanture de mât encastré sur deux carlingots, une carlingue ainsi que plusieurs éléments de vaigrage. L’emplanture bien que profondément abîmé par les tarets conservait les cavités du mât et du fourreau d’étambrai. Sur le flanc tribord, la fouille a permis de dégager trois niveaux de préceinte, ce qui a permis de restituer la forme de la carène et des lignes d’eau du navire. Une pièce exceptionnelle à double cavité, interprétée comme un élément du corps inférieur d’une pompe de cale, a malheureusement disparue (vol de plongeurs ayant visités l’épave ?) pendant la campagne de 1972. L’ensemble des vestiges permet une restitution de la section transversale du navire, présentant un fond de carène plat et construit sur bordé premier. La soixantaine de prélèvements de bois effectués en 1992 ont permis de déterminer que toutes les pièces du navire ont été débitées dans du mélèze, sauf les éléments d’assemblage (les tenons et les chevilles), qui sont en chêne-vert.
La partie conservée du navire correspond approximativement à sa moitié avant. Son bon état de conservation a permis une étude d’architecture navale détaillée. Lors de la fouille, les planches de vaigrage ont été démontées, après avoir été relevées, pour exposer l’ensemble des membrures, du bordé et de la quille. Celle-ci, large de 13 cm sur 12-13 cm de hauteur dans sa partie rectiligne, atteint les 22 cm de haut en direction des extrémités. Cette pièce axiale présente un doublage discontinu en plomb et une épaisse couche de poix sur la face externe.
La zone de quille présentant l’assemblage avec le brion d’étrave, a été prélevée en 1992 pour être démontée, étudiée et dessinée en détail. La liaison est assurée par une enture en trait de Jupiter, maintenue par une clef horizontale, couverte d’une feuille de plombs. De plus, une broche métallique assemble l’étrave et la quille au niveau de cette enture. Cette broche fixait également une varangue et la carlingue selon un système de blocage très élaboré.
Le bordé simple, assemblé à franc-bord par des tenons chevillés, se compose de galbords sculptés (épaisseur maximale de 5,5cm), de ribords (ép. de 4cm) ainsi que de quatre autres virures sur le côté bâbord et de dix-huit virures sur le côté tribord (ép. de 2,5 à 3 cm). Parmi ces virures se trouvent aussi trois niveaux de préceintes respectivement épaisses de 8,5 cm 9,5 cm et 11 cm.
Le système de membrure est constitué de varangues, demi-couples, demi-couple outrepassés et allonges ; tous ces éléments sont assemblés au bordé par des gournables et des clous métalliques (fer ou cuivre). Le renfort interne du système axial est formé par un massif d’emplanture, deux carlingots latéraux et une carlingue. Cette pièce n’était plus en place lors de sa découverte, mais elle était liée à la quille par une longue broche métallique. Le massif d’emplanture (de 25 cm de largeur pour 18-19 cm de hauteur) s’encastre directement sur les carlingots et présente sur sa face supérieure plusieurs cavités pour le logement du pied de mât, du fourreau d’étambrai et d’épontilles.
Le navire était équipé d'au moins une pompe de cale à chapelet car, entre l’emplanture et la carlingue, une pièce à double cavité, interprétée comme un élément pour sa fixation, a été découverte. Cinq disques de bois (diamètre de 5,6 cm) appartenant au chapelet et une pièce de bois monoxyle interprété comme un davier – ou rouleau d’entrainement- ont été trouvés à l’emplacement de la pompe après le vol de 1972.
L’emplacement, à l’avant du navire, de cet équipement fait penser à l’existence d’une deuxième pompe située comme d’habitude, à l’arrière, dans la partie la plus basse de la carène. Cette pompe arrière aurait disparu avec la poupe du navire.
Le navire de l’épave Pointe de la Luque 2, appartient à un type à fond plat, demi-couples outrepassés et emplanture sur carlingots qui est caractéristique des navires de Méditerranée occidentale de l’époque impériale. Sa coque reflète ainsi les principes de la construction navale antique qui reposent sur une conception « longitudinale sur bordé » dans laquelle les formes sont déterminées par la mise en place des virures du bordé et où la membrure n’a qu’un rôle secondaire. Les assemblages par tenons et mortaises jouent un rôle de liaison entre les virures, garantissant la cohésion interne de la structure de l’embarcation avant la mise en œuvre de la charpente transversale. De la même façon, la membrure revêt une fonction de renfort de la coque et de soutien des bordages. En effet, il n’existe pas de connexions entre les couples et les allonges. Du point de vue du procédé de construction, le bateau se distingue par l’élévation du bordé à partir de la charpente longitudinale axiale, préalablement érigée, et avant la pose de la membrure ou d’éléments de la membrure selon le principe d’une construction de type « bordé premier ».
Les analyses du bois effectuées en 1992 ont permis de déterminer d’une part la nature exacte des essences utilisées pour la construction de ce navire et d’autre part le mode de débitage des bois. La Pointe de la Luque 2 s’avère être un des rares navires connus construits avec une seule essence. Il s’agit du mélèze, un des meilleurs résineux pour la charpente navale mais aussi un bois assez rare et dont le sciage n’est pas évident. Dans le cas de ce navire, les mélèzes utilisés proviennent probablement de l’arrière pays liguro-provençal, d’où le bois a pu atteindre, par transport fluvial, différents chantiers navals de la côte. Si l’hypothèse de cette aire d’approvisionnement est retenue, le navire pourrait avoir parcouru la route entre la Gaule et l’Afrique du nord. Il aurait sombré dans la rade de Marseille en revenant de son dernier voyage africain.
Musée des Docks Romains - Place Vivaux - 13002 Marseille
Tél : 04 91 91 24 62
Pour le dépôt de conservation du mobilier, s’adresser au DRASSM.
La présence de fragments de carapaces de langoustines dans quelques-unes des amphores africaines avait fait penser à un commerce d’une sauce rare à base de crustacés : nous savons aujourd’hui qu’il s’agit plutôt de l’action des poulpes. Ils ont en effet l’habitude d’élire domicile dans les amphores et d’y transporter leur nourriture.
Pays | France |
Aire marine protégée | Non |
Département | Bouches-du-Rhône |
Commune | Marseille |
Lieu-dit | Nord-Ouest Pomègues |
Code EA | 30-395 |
Nature du site | Épave de navire |
Chronologie | Antiquité |
Indicateur de période | Cargaison, amphores. |
Structures | Coque, pompe de cale, plaque de plomb. |
Mobilier |
Amphores : Africaines Keay XXV.1/2, XXV. 3, XXV.X, Africaine IID, Keay LII, Keay XXVIIa.
Céramiques : Lampes, céramique Luisante, céramique modelée, céramique commune, céramique africaine de cuisine. Autre : Epissoir, plomb de pêche, vannerie. |
Lieu d'exposition | Musée des Docks Romains, Marseille |
Contexte |
Géologie : Vase
Situation : Immergé Profondeur : - 40m. |
Historique des recherches |
Déclaration : 1970 - P. Lasalarie ; Jean-Claude Negrel (découverte fortuite).
Expertise: Opérations: 1971-1973 - fouilles programmées : Jean-Claude Negrel (responsable d'opération) |
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Rédacteur | Franca Cibecchini |